Les larmes du diable
d’emmener à l’instant a reçu un carreau d’arbalète qui visait mon maître ici présent, l’avocat de lord Cromwell. Et la seule personne qui a pu laisser entrer ici son assaillant, c’est toi, vilain Jean-fesse. Alors parle.
— Mais… je n’ai rien fait, bafouilla l’homme. Il y a d’autres accès… »
Barak se pencha, saisit les parties du bonhomme et les tordit, lui arrachant un hurlement. « Je vais tout vous dire ! s’écria-t-il.
— Et plus vite que ça ! »
Le portier avala sa salive. « Peu après votre arrivée, un homme s’est approché de moi. Un gaillard avec une drôle de mine : on aurait dit un clerc, mais il avait le visage tout grêlé. Il m’a montré une pièce d’or et m’a demandé ce que vous faisiez là tous les deux. Je… je lui ai dit que vous aviez rendez-vous avec quelqu’un. Il m’a donné la pièce et je l’ai laissé entrer. C’était une pièce d’un angel, monsieur, et je ne suis qu’un pauvre homme.
— Montre-nous ça. »
Le portier fouilla dans sa ceinture et en sortit une grosse pièce d’or. Barak s’en saisit. « Fort bien, je la prends. Ça paiera le médecin de notre ami. Et maintenant, parle-nous de ce gaillard. Avait-il quelque chose à la main ? Une arbalète, par exemple ?
— Je n’ai pas vu d’arbalète, gémit l’homme. Il avait une grande sacoche, mais je ne sais pas ce qu’il y avait dedans ! »
Barak recula d’un pas. « Allez file, sac à merde. Et pas un mot de tout cela, sinon lord Cromwell te le fera payer. »
L’homme se ratatina. « Jamais je ne ferais du tort à Crom, monsieur, enfin je veux dire, au comte.
— Sors d’ici ! Vilain gueux ! » Barak le fit pivoter et l’expédia d’un coup de pied de l’autre côté de la porte. Puis il se retourna vers moi, le souffle court.
« Je vous demande pardon d’avoir laissé le grêlé vous approcher, dit-il. J’ai baissé ma garde.
— Vous ne pouvez pas être toujours sur le qui-vive.
— Il a dû se cacher dans la foule aux abords de l’hôpital. Corbleu, il est habile. Vous vous sentez bien ?
— Mais oui, voyons, dis-je en époussetant ma robe.
— Il faut que j’informe le comte de ce qui vient d’arriver. Et maintenant. Il est à Whitehall. Venez avec moi. »
Je secouai la tête. « C’est impossible, Barak. Je dois retrouver Joseph, je suis tenu de respecter mon engagement : je reste responsable d’Elizabeth. Ensuite, il me faut voir Guy.
— Soit. Je vous retrouverai devant sa boutique dans quatre heures. Il était neuf heures à l’horloge de l’église quand je suis entré. Alors… disons à une heure ?
— Fort bien. »
Il me regarda d’un air peu convaincu. « Êtes-vous sûr de pouvoir circuler seul sans danger ?
— Morbleu, grondai-je, si nous ne pouvons pas nous séparer une minute, il nous faudra deux fois plus de temps pour arriver au bout de cette affaire. Allons, dis-je d’un ton plus doux, nous pouvons aller ensemble jusqu’à Cheapside. »
Mon compagnon avait l’air inquiet. Quelle serait la réaction de Cromwell en apprenant cette troisième tentative d’assassinat ?
15
C e n ’ est qu ’ en arrivant à A ldersgate que Barak ouvrit la bouche : « Je le savais, que nous n’aurions jamais dû aller à St Bartholomew. À quoi ça a servi, hein, sinon à mettre la vie d’un pauvre homme en danger et éveiller la méfiance de Rich ?
— Nous avons eu confirmation que le feu grégeois a été découvert comme Gristwood l’avait dit. Qu’il y avait bien une barrique de… liquide, et une formule.
— Alors, vous y croyez, maintenant ? Eh bien, nous avons fait un grand pas en avant, railla-t-il.
— Quand j’étudiais le droit, l’un de mes professeurs affirmait que la même question se pose dans tous les cas : “Quels sont les détails importants ?” — Et la réponse ?
— Tous . On doit connaître tous les faits, toute l’histoire, avant de pouvoir agir. Et j’ai beaucoup appris hier, à Deptford, et aujourd’hui encore, malgré ce que cela a failli me coûter. J’ai quelques pistes dont j’aimerais parler avec Guy. »
Barak haussa les épaules, visiblement peu convaincu. Chemin faisant, l’idée me vint que tous ceux qui connaissaient l’existence du feu grégeois étaient sans doute en danger : Marchamount, Bealknap, lady Honor…
« Je suis obligé de rapporter au comte que nous avons rencontré Rich, dit Barak. Il ne sera pas content.
— Je sais. » Je me mordis la lèvre. « Cela m’inquiète
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