Les larmes du diable
bibliothèque. Le comte Cromwell a dit que je devais considérer cela comme une faveur. »
Rich inclina la tête. « Il n’y a plus de livres, mes agents les ont tous brûlés, dit-il en adressant un sourire moqueur au malheureux Kytchyn.
— C’est l’architecture du bâtiment qui m’intéresse, Votre Grâce. J’envisage de construire une bibliothèque.
— Vous feriez mieux d’en visiter une qui a toujours un toit,gloussa-t-il. Corbleu ! vous devez être prospères, à Lincoln’s Inn. À moins que vos pécunes ne vous viennent du comte Cromwell ? Vous jouissez à nouveau de sa faveur ? » Les yeux perspicaces de Rich se plissèrent. « Ma foi, si le comte dit que vous pouvez visiter la bibliothèque, faites donc. Prenez garde que les corbeaux qui nichent dans les poutres du toit ne vous crottent pas dessus. Après les papistes, les oiseaux, n’est-ce pas, mon cher ? » Il sourit de nouveau à Kytchyn, qui baissa les yeux. La bouche de Rich se crispa et il tourna la tête vers moi.
« Mais la prochaine fois, demandez la permission avant de traverser à nouveau mon jardin, Shardlake. » Sans ajouter un mot, il se détourna et suivit ses enfants dans sa maison. Kytchyn nous conduisit rapidement vers une porte située dans le mur.
« Je savais que c’était une mauvaise idée de venir ici, grogna Barak. Mon maître m’avait dit que Rich devait être tenu à l’écart de cette histoire.
— Nous ne lui avons rien dit, répondis-je, mal à l’aise.
— Il est curieux. Ne vous retournez pas, il nous observe de sa fenêtre. »
Une fois la porte franchie, Kytchyn nous fit traverser une pelouse toute piétinée entourée sur trois côtés par des bâtiments sans toit. Il nous en désigna un : « Voici la bibliothèque, à côté de l’infirmerie. »
Nous le suivîmes dans ce qui avait dû être jadis une imposante bibliothèque. Des étagères vides et brisées couvraient les murs sur une hauteur de deux étages ; le sol était jonché de bouts de placards et de manuscrits déchirés. Le spectacle m’attrista encore plus que celui de l’église. Je levai les yeux vers le haut, où quelques poutres squelettiques tenaient encore, jetant leurs ombres sur le sol. Un vol de corbeaux s’ébranla en croassant. Les oiseaux décrivirent des cercles, puis se posèrent ici et là. Par une fenêtre sans vitres, j’aperçus une enceinte avec une pelouse et, au-delà, des maisons. Au milieu se dressait une fontaine asséchée. Kytchyn regardait autour de lui d’un air malheureux.
« Qu’avez-vous trouvé quand vous êtes venu ici avec messire Gristwood ?
— Il m’avait demandé de chercher ce que je pouvais découvrir sur le soldat Saint-John. Les papiers un tant soit peu importants laissés par les patients morts à l’hôpital étaient archivés ; certains étaient enregistrés au nom de Saint-John et messire Gristwood les a tous emportés. Puis, le lendemain, il est revenu et apassé l’après-midi à compulser les références concernant Byzance ou le feu grégeois.
— Comment se fait-il que vous sachiez ce qu’il cherchait ?
— Il m’a demandé mon aide, messire. Il a emporté d’autres papiers et d’autres ouvrages. Jamais il ne les a rapportés, et peu après toutes les étagères ont été vidées et les livres brûlés. » Il secoua la tête. « Certains étaient très beaux, messire.
— Hélas ! le mal est fait. »
Soudain, un bruit d’ailes retentit : les corbeaux prenaient à nouveau leur envol. Ils se mirent à tourner en rond au-dessus de nous en croassant bruyamment. « Qu’est-ce qui leur prend ? marmonna Barak.
— Vous avez aidé messire Gristwood à chercher des papiers. En avez-vous lu certains ?
— Non, messire, je préférais ne rien savoir. » Il me regarda d’un air convaincu. La sueur ruisselait sur son visage, car il faisait chaud et le soleil tapait directement sur nous. « Je ne suis pas un audacieux, messire. Tout ce que je souhaite, c’est qu’on me laisse à mes prières.
— Soit. Savez-vous ce qu’il est advenu du baril ?
— Messire Gristwood a envoyé une charrette pour l’emporter. Je ne sais pas où. » Kytchyn prit une profonde inspiration et leva la main pour ouvrir le col de son surplis. « Excusez-moi, messire, il fait si chaud… » En parlant, il fit un pas de côté à l’instant où un léger déclic se produisait quelque part. Son mouvement me sauva la vie. Kytchyn se cassa en deux en poussant un cri aigu et, à ma grande horreur, je
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