Les Lavandières de Brocéliande
L’unique croisée de la demeure était occultée par d’épais rideaux. Désormais, aucun trait de lumière ne pouvait entrer à l’intérieur de la maison, ni en sortir.
Dahud se tenait assise à sa table, sur le banc, juste en face de la porte. Elle ne sourcilla pas lorsque l’homme pénétra ainsi chez elle, en territoire conquis, se contentant de l’observer de son œil aiguisé. Elle avait l’habitude. Le même rituel se déroulait chaque mois depuis tant d’années qu’elle en aurait perdu le compte, si la présence d’Annaïg à ses côtés n’était venue le lui rappeler. Cela ressemblait à des habitudes de vieux couples qui n’ont plus besoin de se parler pour se comprendre.
Le baron avança en clopinant, s’aidant de sa canne à tête de loup. D’un geste, il intima à sa bête l’ordre de se coucher, puis il prit place sur l’autre banc, en face de Dahud. Ils n’étaient séparés que par la largeur de la table au milieu de laquelle se trouvait une fiole contenant la potion apaisante destinée à Philippe. Hubert de Montfort la fit disparaître dans l’une des poches de son manteau et sortit une épaisse enveloppe qu’il déposa devant Dahud. Elle s’en saisit avecla même célérité. Pas un mot n’avait été prononcé durant ce bref échange.
Dahud se leva, se dirigea vers l’armoire et glissa l’enveloppe sous une pile de linge. Puis elle ouvrit le buffet et en extirpa deux chopines et une bouteille d’eau-de-vie qu’elle rapporta avec elle.
– Tu prendras bien la goutte ? dit-elle en remplissant les deux verres sans attendre sa réponse. C’est dimanche, après tout…
Elle se rassit et, après avoir choqué son verre contre celui du baron, le but cul sec avant de le reposer, vide, sur la table.
Le baron n’avait pas touché au sien. Il observait la pièce, comme s’il la découvrait pour la première fois, se penchait vers son chien dont il caressait la fourrure, puis laissait de nouveau son regard errer au hasard, évitant soigneusement de croiser celui de Dahud.
– La petite n’est pas là ? finit-il par lâcher d’un ton où le reproche se mêlait à la déception.
Dahud eut un ricanement amer.
– Tu le vois bien, qu’elle est pas là. Et tu devais t’en douter, qu’elle y serait pas. Elle y est jamais, quand tu viens…
Hubert finit par tourner les yeux vers la femme vieillie avant l’âge.
– Pourquoi ne veux-tu pas que je la voie ? s’emporta-t-il soudain. L’enveloppe, c’est pour elle que je l’apporte chaque mois, non ? Je pourrais au moins savoir comment ça lui profite…
Dahud maintenait un pâle sourire sur sa face, narguant l’homme assis devant elle.
– T’en fais pas pour ça, Hubert. Pour lui profiter, ça lui profite… C’est une belle gamine, qui a tout pour fairetourner les têtes et chavirer les cœurs. Sois certain qu’elle trouvera un beau garçon à aimer, un de ces jours. Un beau garçon de son âge…
Elle insista sur ces derniers mots, révélant ses dents gâtées entre les deux lignes minces de ses lèvres. Hubert sentit son visage s’empourprer. Pour se donner une contenance, il avala à son tour le verre d’eau-de-vie. Dahud resservit les chopines à ras bord. Ils burent ensemble, cette fois-ci.
– Et l’argent, qu’est-ce que tu en fais ? reprit le baron après s’être essuyé les lèvres d’un revers d’index. Tu ne dépenses pas tout, je suppose…
Dahud éclata de rire.
– Et pourquoi qu’on le dépenserait ? Pour se faire remarquer ? Pour se faire un peu plus mal voir ? Comme si on causait pas suffisamment comme ça derrière notre dos… Derrière mon dos, surtout ! Tu me diras… Je devrais avoir l’habitude. Vu que ça fait vingt ans que ça dure…
Elle contempla son verre vide et balbutia :
– Vingt ans… Oui, ça va faire vingt ans. Comme nous avons changé. Moi, surtout…
Hubert se racla la gorge, subitement gêné.
– Mais non, Maëlle, tu n’as pas changé… Tu as pris quelques rides, comme tout le monde, voilà tout.
Dahud releva le visage, et fixa le baron d’un œil venimeux.
– Essaye pas de m’entortiller, Hubert ! Ça marche plus avec moi ! T’y es bien arrivé il y a près de vingt ans et tu vois où ça nous a menés… Deux vieux imbéciles qui se rencontrent en cachette une fois le mois pour boire la goutte en se regardant en chiens de faïence… Ton argent, je l’accepte pour la petite, pour sa dot lorsqu’elle trouvera un bon
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