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Les Lavandières de Brocéliande

Les Lavandières de Brocéliande

Titel: Les Lavandières de Brocéliande Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Edouard Brasey
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applique-toi à ne penser à rien. Je sais que c’est difficile, mais c’est à cette condition que tu entendras autre chose . »
    Gwenn était encore une enfant, et les enfants comprennent ce langage plus aisément que les adultes. En fermant les yeux, sa main sur l’écorce rugueuse, elle avait fini parsentir une présence invisible et chaleureuse qui l’accueillit dans son monde de bois, de feuilles et de sève. Cette voix sans paroles, c’était la voix de l’arbre.
    Puis Yann lui montra comment enserrer le tronc de ses deux bras ouverts, en ayant soin de bien appliquer les paumes de ses mains, sa poitrine et son front contre l’écorce. Il appelait cela « faire corps avec l’arbre ». « Lorsque tu aimes une personne, tu la prends dans tes bras et la serres très fort, pas vrai ? expliquait encore Yann. Pourquoi ne ferais-tu pas la même chose avec un arbre ? Les arbres sont comme nous, ils ont un corps qui ressent, un cœur qui bat, une tête qui pense. Si tu poses tes mains sur leur corps, ta poitrine contre leur cœur et ton front contre leur tête, tu ne feras plus qu’un avec eux et ils te transmettront leur sagesse. »
    Yann ne partageait qu’avec Gwenn ces rituels qui l’auraient aussitôt fait passer pour un fou aux yeux des gens sensés. Elle était son unique élève, sa disciple, sa « petite fée des bois ». C’est ainsi que l’orpheline avait grandi dans la forêt comme dans un monde à part, un univers fourmillant de présences visibles et invisibles.
    Tout en se laissant envahir par le sentiment de plénitude que lui procurait la forêt, Gwenn se remémorait les paroles de Yann au sujet de ses parents. « Ils s’aimaient. Ils s’aimaient d’un amour pur et infini, avait-il affirmé. Mais il y a eu cette tragédie… »
    Ses parents s’aimaient… Et sans doute auraient-ils aimé leur enfant s’ils l’avaient connu. Ils l’auraient aimée, elle. Gwenn, malgré son désarroi, ressentit une tendre émotion pour ces deux êtres que le destin avait brisés mais qui avaient eu leur part de bonheur. Elle était le fruit de cet attachement, le témoin vivant de leur passion. Elle n’avait pas le droit de trahir cette union dont elle était l’ultime bourgeon. Elle devait cesser de s’apitoyer sur son sort. Après tout, elleétait vivante, elle avait la vie devant elle. Ses parents, fauchés dans la fleur de l’âge, n’avaient pas eu la même chance. Elle leur devait de la reconnaissance, même si elle ne les avait jamais connus.
    La jeune femme se redressa et remit de l’ordre dans ses vêtements d’un revers de main. Puis elle regarda autour d’elle et tenta de se repérer. Elle s’était enfoncée assez loin dans la forêt lors de sa course folle. Le soir n’allait pas tarder à tomber. Les ombres des arbres commençaient à s’allonger. Si elle ne voulait pas passer la nuit dans les bois, il lui fallait échapper à leur emprise. Non que la perspective de dormir à la belle étoile lui fît peur. Souvent, elle s’était assoupie au pied des grands chênes ou sous des bouquets de hêtres. Mais il s’agissait, la plupart du temps, de tièdes nuits d’été où la mousse lui servait d’oreiller et le ciel étoilé de couverture. Au fort de l’automne, l’air était frais, et une ondée toujours possible. Gwenn s’était suffisamment crottée comme cela sans y ajouter une rincée nocturne ou un mauvais rhume.
    Et puis, c’était veille de Samain. Malgré elle, elle se rappela les avertissements que Dahud lui avait donnés le matin même : « Méfie-toi des lavandières de la nuit. Prends garde aux lavandières de sang ! » Cette nuit n’était pas comme les autres, et faisait ressurgir des peurs ancrées dans les mémoires depuis des générations.
    On disait, par exemple, que la nuit de Samain était décomptée du calendrier normal et se déroulait dans une sorte de temps hors du temps. Elle appartenait à une réalité temporelle différente de celle des humains. La nuit de Samain, le monde des vivants et celui des défunts ne faisaient plus qu’un. La Mort imposait les règles ayant cours dans l’autre dimension. Les horloges étaient impuissantes à mesurer les heures qui s’écoulaient depuis le soir jusqu’à l’aube suivante. On ne pouvait plus parler d’heures d’ailleurs,mais de fragments indéfinis de temps qui s’allongeaient ou se raccourcissaient au gré d’un rythme capricieux dans lequel la raison humaine n’avait plus

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