Les Lavandières de Brocéliande
avait épousée en secret, Solenn. Le baron Alphonse de Montfort s’était emporté, niant toute validité à ce mariage présumé auquel il s’était toujours opposé. Cette petite Solenn Josselin n’était qu’une intrigante qui voulait sa part du gâteau, voilà tout ! Tant qu’il serait vivant, elle n’aurait rien ! Le notaire était jeune, il n’avait repris quedepuis peu l’étude de son père, et il manquait d’assurance. Il avait mollement argumenté au sujet des dernières volontés du mort. Pour couper court, Alphonse l’avait prié de faire envoyer à la veuve la malle contenant les affaires d’Edern que l’armée leur avait remise. Voilà tout l’héritage qu’elle aurait : un uniforme, un képi et quelques médailles. Elle devrait se contenter de ces souvenirs de guerre auxquels les Montfort n’étaient pas attachés. Maître Le Bihan ne voulait pas se mettre à dos une famille aussi puissante, qui avait depuis toujours confié la gestion de ses biens à l’étude dont il était désormais responsable. Il avait prudemment ravalé ses principes de justice et remisé le testament dans ses dossiers. Personne n’en avait plus jamais parlé.
En 1918, Hubert avait épousé Françoise, fille unique d’une famille de riches bourgeois. Un mariage de convenance, arrangé par son père qui avait vu dans cette alliance un moyen de renflouer les caisses des Montfort qui possédaient un nom, des titres et des biens, mais peu d’argent.
Hubert n’avait jamais porté le moindre intérêt à Françoise, en dehors du fils qu’elle lui avait donné un an plus tard, Philippe. Ainsi la descendance des Gaël de Montfort était-elle assurée. C’est sans doute ce qu’attendait le vieux baron pour décéder de sa belle mort, bientôt suivi par son épouse inconsolable. Le cadet si longtemps méprisé devint, à moins de vingt-cinq ans, le nouveau baron de Ker-Gaël.
Hubert de Montfort ne parvenait pourtant pas à combler le vide de son existence. À l’âge où l’on s’adonne, lorsqu’on en a les moyens, aux joies de l’existence, la chasse, la bonne chère et les femmes, Hubert s’ennuyait ferme entre son épouse falote et son fils babillant. Il éprouvait le besoin de pimenter un peu cette vie sans surprise ni saveur. C’est alors qu’il se remit à penser à Maëlle.
Ils ne s’étaient pas revus depuis ce fameux mois de mai 1914. Dix ans avaient passé. La jeune fille était lavandière et menait la buée au lavoir de Concoret. Hubert n’avait jamais oublié les moqueries dont la noiraude l’avait abreuvé lorsqu’ils étaient adolescents. Mais il n’était alors que le cadet disgracié, la copie brouillonne de son frère parfait. À présent, la donne avait changé. Edern n’était plus là et Hubert possédait à présent le château de Ker-Gaël et une bonne partie de la forêt. Cela lui conférait un prestige et un pouvoir nouveaux. La lavandière devrait se soumettre à la loi et au bon plaisir du seigneur.
Maëlle, pourtant, avait conservé son caractère tempétueux et sa susceptibilité à fleur de peau. Elle rejeta en riant les avances du baron quand il vint, bien maladroitement, lui faire sa cour au doué . Il entendait encore les sarcasmes de la jeune lavandière, auxquels se joignirent en échos ceux de ses compagnes de lavoir. Il avait beau être baron, il était toujours le cadet ridicule, l’estropié qui boitait et rougissait comme une fille lorsqu’on se moquait de lui. Face à ces jeunesses qui le raillaient, il perdit brusquement tout contrôle et s’enfuit sous les risées. Il était impuissant à affronter le mépris qu’il lisait dans le regard des jolies lavandières.
Il ne s’avoua pas vaincu pour autant. La brune Maëlle l’avait excédé mais elle l’avait aussi émoustillé, comme aux temps de leurs promenades dans la forêt de Brocéliande. Elle devint pour lui une sorte d’obsession. Il fallait qu’elle soit à lui, d’une façon ou d’une autre, de gré ou de force. Non qu’il l’aimât – il n’aimait personne à l’exception de lui-même. Mais il la désirait. Il désirait sa chair brune, ses jambes potelées, ses lèvres charnues. Il éprouvait, lorsqu’il faisait en imagination l’inventaire de ses charmes, une irrépressible envie de la posséder. Non pas tant pour jouir d’elle,mais pour la rabaisser, l’humilier à son tour, lui montrer qui était le maître. Il lui venait, en songeant à elle, des pulsions violentes au
Weitere Kostenlose Bücher