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Les Lavandières de Brocéliande

Les Lavandières de Brocéliande

Titel: Les Lavandières de Brocéliande Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Edouard Brasey
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cours. C’était, disait-on, le temps des morts et des âmes du purgatoire, dont chaque minute durait un siècle. Les fées abandonnaient pour quelques instants l’éternité d’Avalon afin de se mêler du destin des hommes et de l’influencer en bonne ou male aventure. Les lavandières de la nuit, inlassablement, frappaient à l’aide de leur battoir le linge ensanglanté de leurs nourrissons mort-nés. Plus d’un mortel, murmurait-on, était ainsi demeuré prisonnier de la nuit de Samain sans jamais pouvoir revenir dans le monde et le temps des vivants.
    Une corneille fila entre les arbres en croassant. Gwenn sursauta. Elle se souvint du corbeau rencontré ce matin, à l’aube, au lavoir. Le même intersigne funèbre lui apparaissait au coucher du soleil. La Mort rôdait, elle le sentait. La nuit ne se passerait pas sans que l’Ankou n’ait fait grincer sa charrette aux roues de fer.
    Pour se rassurer, elle posa la main sur l’écorce d’un arbre. Elle sentit une écharde lui entailler la paume. Elle étouffa un cri, non de douleur, mais de crainte. Les signes étaient mauvais. La forêt la rejetait, ne voulait pas d’elle cette nuit-là. Pourquoi ? Avait-elle l’esprit encore trop agité pour communier avec la sylve et ses présences invisibles ? À moins que ce ne soit l’inverse : peut-être la forêt la mettait-elle en garde contre un obscur danger auquel elle ne pourrait faire face ? Le message, en tout cas, était clair : elle devait quitter ces lieux, soudain hostiles, au plus vite.
    Elle songea aux lavandières de la nuit. Hantaient-elles ces bois ténébreux à la recherche de victimes égarées ? Non, ce n’était pas cela. C’est près du lavoir que se réunissaient les spectres des lavandières. Ce soir, le lavoir deviendrait unpassage entre les mondes. C’est au travers du miroir de son eau que les esprits des morts se mêleraient aux vivants.
    Soudain, Gwenn eut une intuition. Si les défunts revenaient cette nuit-là, ses parents morts dans des circonstances tragiques chercheraient peut-être à se manifester à elle d’une façon ou d’une autre ? Les âmes errantes étaient soumises à des règles strictes leur interdisant en principe d’apparaître aux vivants. Mais en cette veille de Samain, les lois de l’au-delà étaient suspendues, du coucher au lever du soleil. Si les lavandières de la nuit en avaient la faculté, pourquoi ses parents n’y parviendraient-ils pas ? C’était un fol espoir, inspiré davantage par la superstition que par la raison, mais Gwenn était prête à prendre le risque, quitte à affronter les lavandières sanglantes. La peur de rencontrer ces horribles sorcières n’était que peu de chose en face de l’espoir de ressentir, ne serait-ce qu’un instant, l’esprit de ses parents.
    Elle se mit aussitôt en route pour rejoindre le lavoir de Concoret.

    À présent qu’elle avait pris sa résolution, elle retrouvait, par une sorte d’atavisme, les repères qui lui permettaient de s’engager dans la bonne direction. En moins d’une demi-heure, elle gagna les portes de Concoret.
    Elle reconnut de loin la chaumine où logeaient Dahud et sa fille Annaïg. Une fumée fuligineuse s’échappait de la cheminée reliée au poêle à charbon. Les deux femmes devaient être chez elles. Dahud, en tout cas, s’y tenait certainement cloîtrée. Son obsession des lavandières de la nuit et des sortilèges de Samain l’empêchait de mettre le nez dehors cette nuit-là, après que le soleil se fut couché.
    Gwenn s’approchait de la maison lorsqu’un bruit de sabots lui fit interrompre sa marche. Le soir était tombé, les rues du village étaient à présent désertes, et les paysans déjàcalfeutrés dans leurs masures. Qui s’avisait de rôder dans les parages à cette heure tardive ?
    Une calèche à deux chevaux, conduite par un cocher emmitouflé dans une vaste houppelande, s’arrêta à proximité de la demeure de Dahud.
    La portière s’ouvrit et Gwenn en vit descendre un homme enveloppé d’un ample manteau noir, coiffé d’un chapeau de feutre rabattu sur le front, suivi par un gros chien également noir.
    À sa boiterie, Gwenn reconnut aussitôt celui qui venait si tard rendre visite à Dahud.
    Il s’agissait du baron Hubert de Montfort.

11
    Le baron poussa la porte de la chaumine de Dahud sans prendre la peine de frapper ni de s’annoncer, suivi de Kidu, puis referma aussitôt les deux battants horizontaux derrière lui.

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