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Les Lavandières de Brocéliande

Les Lavandières de Brocéliande

Titel: Les Lavandières de Brocéliande Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Edouard Brasey
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maintenait la tête, inclinant le pot dont le liquide brûlant se répandait sur son menton et sa poitrine. Annaïg hoquetait, se débattait, mais chaque fois qu’elle tentait de reprendre son souffle, elle avalait malgré elle l’infâme bouillon. La mère ne s’arrêta que lorsque le pot fut entièrement vide.
    La jeune fille suffoquait, les deux mains comprimant son ventre distendu par les litres absorbés.
    – Ne vomis pas, surtout ! commanda Dahud. Sinon les plantes auront pas le temps d’empoisonner le germe. Viens t’allonger…
    Annaïg n’était plus qu’une poupée molle entre les mains de sa mère. Elle se laissa conduire jusqu’à son lit et s’y affala, vidée de toute énergie. Son visage était pâle, cireux. Sa coiffe était tombée et ses longs cheveux noirs, trempés de sueur, se tordaient comme des serpents fous de colère. Son corps tout entier était pris de frissons.
    – Je… je ne me sens pas bien… Je vais être malade, se lamentait la jeune fille.
    – C’est la potion qui fait effet. Garde-la bien en toi, le temps qu’elle agisse. On va lui faire la peau, au bâtard quel’autre t’a mis dans le ventre ! On va l’enfumer comme un nid de guêpes ! Tu vas le cracher par en bas ! Je vais t’y aider…
    Dahud se tenait au-dessus de sa fille en nage et lui appuyait sur le ventre de ses deux poings fermés.
    – Tu me fais mal ! geignait Annaïg. Je n’arrive plus à… respirer… Et mon ventre… Ça bouge, là-dedans. Il va exploser !
    – Arrête de pleurnicher, c’est normal, la tança la lavandière. C’est ton bâtard qui résiste au poison. Ça a la vie dure, ces morpions-là. Surtout au bout de trois lunes. Mais j’ai bien chargé la potion. Il va se décrocher tout seul, comme un grand, tu vas voir…
    Soudain, il y eut comme un bruit de poche d’eau qui éclate et une flaque rougeâtre commença à se répandre sur le lit.
    – Ça y est ! s’exclama Dahud dans un rire dément. On l’a eu, le petit saligaud. Pousse, maintenant, pousse ! Extirpe cette vermine de ton corps.
    La lavandière s’assit à califourchon sur le ventre de sa fille, pour mieux lui malaxer la chair et l’aider à expulser le fœtus. Des jambes écartées d’Annaïg giclait un mélange de sang et d’urine qui souillait le drap et dégageait une odeur atroce. Elle hurlait de douleur.
    – On va l’avoir ! hurlait la lavandière au comble de la folie.
    Elle enfouit une main dans l’intimité de sa fille, farfouilla un moment puis extirpa d’un coup une chose informe et sanguinolente qu’elle jeta à terre en poussant un rugissement de victoire.
    – Il voulait pas venir, mais on l’a bien obligé ! Il t’embêtera plus.
    Annaïg avait cessé de crier. Elle baignait dans une mare de sang. Son visage était dénué de toute expression, les yeux grands ouverts sur le néant.
    – À présent, va falloir nettoyer tout ça, ma fille. Tu nous en as foutu partout. Faudra plus d’une buée pour reblanchir ton drap. Ça sera ta pénitence !
    Elle attrapa le fœtus avec les pincettes et le jeta dans le poêle à charbon.
    – Il finira dans la fornette derrière la maison, avec les cendres. Personne ira fureter là, sauf les chiens, peut-être…
    Soudain, elle s’étonna du silence de sa fille.
    – Eh ! Tu dors déjà ? Tu pourrais te laver un peu, avant. Et tu as fait sous toi, en plus. Ça empeste !
    Comme Annaïg ne répondait toujours pas, Dahud revint vers le lit et la secoua.
    – Réveille-toi, bougresse ! Faut m’aider à faire du propre, ici. On est pas dans la soue aux cochons ! Va chercher le seau et le balai de bourdaine.
    Elle lui donna des tapes sur les joues, doucement, puis plus fort, mais la jeune fille ne bougeait toujours pas.
    – Qu’est-ce qu’i’t’prend ? s’alarma enfin la lavandière. Tu vas pas défunter dans mes bras, quand même ? Annaïg ! Parle ! Bouge ! Fais quelque chose ! Me laisse pas seule, t’entends ? Me laisse pas !
    Mais Dahud eut beau secouer sa fille dans tous les sens, ce fut peine perdue.
    Annaïg était morte.

18
    Le mince filet de lune au sommet de sa course jetait son inquiétante clarté sur le lavoir de Concoret. L’eau noire reflétait le disque pâle, semblable au sourire d’un noyé. On était au cœur de la nuit de Samain, à l’heure du grand repos où le monde semble mort à jamais, où bêtes et gens dorment d’un sommeil si profond qu’on ne sait s’ils s’en réveilleront au matin,

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