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Les Lavandières de Brocéliande

Les Lavandières de Brocéliande

Titel: Les Lavandières de Brocéliande Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Edouard Brasey
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des réfractaires au S.T.O. après le mois de février 1943. Mais il ne s’était pas arrêté là. En parallèle de ses fonctions officielles, il était devenu dès le début de 1942 le chef de l’Armée secrète pour le Morbihan sous le nom de Yodi. Il était ainsi parvenu à établir la carte du dispositif militaire allemand dans la région et en avait adressé la copie à Londres, sous le nom de code « panier de cerises ».
    Bouchard connaissait Guillaudot, bien qu’il ne fût pas affecté au même secteur. Il partageait ses convictions, sans pour autant prendre les mêmes risques que Yodi. Eût-il été seul, il n’aurait pas hésité à rejoindre lui aussi les rangs de plus en plus nombreux de l’Armée secrète. Mais il avait charge de famille, une femme et cinq enfants. S’il mettaitsa vie en danger, il les exposait eux aussi aux représailles. Les occupants n’étaient pas tendres avec ceux qu’ils considéraient comme des traîtres, ni avec leurs proches. Alors le brigadier-chef se contentait de fermer les yeux lorsqu’il était témoin d’actes de résistance et ne transmettait jamais à la Gestapo les lettres de dénonciations qui atterrissaient sur son bureau. Il n’était peut-être pas un héros, mais il n’était pas non plus un lâche ni un salaud, et pouvait se regarder en face chaque matin dans son miroir. Par les temps qui couraient, tout le monde ne pouvait pas en dire autant.
    – Gaillard, Le Floc’h, il va falloir prévenir la mère, finit par lâcher le brigadier en se tournant vers les gendarmes. Ce n’est jamais facile d’annoncer à un parent la mort violente de son enfant. C’est à moi de m’en charger. Vous resterez ici en attendant l’arrivée du médecin. Où se trouve la jeune fille qui a découvert le corps ?
    – Elle attend dans l’estafette, chef, répondit le gendarme Le Floc’h. Nous avons pris sa déposition mais nous attendions de savoir si vous souhaitiez l’interroger. Les lavandières qui ont donné l’alerte sont là, elles aussi. Vous voulez les entendre ?
    – Cela peut attendre. Les pauvres sont sous le choc. Mais l’une d’entre elles pourra me conduire jusqu’à la mère. Maëlle Le Borgne, c’est bien cela ?
    – Oui, chef, confirma le gendarme Gaillard. Elle habite au bout du village. Vous êtes sûr de vouloir y aller seul ?
    Bouchard jaugea d’un coup d’œil ses deux subordonnés. À leurs regards fuyants et leurs expressions empruntées, il comprit qu’ils ne tenaient pas à demeurer seuls avec la noyée. Elle était si jeune, avec son doux visage encadré de cheveux noirs. Elle semblait endormie et cette ambiguïté ajoutait à l’étrangeté de la scène. Cela faisait naître chez eux un sentiment diffus et désagréable qui s’apparentait à lapeur. Le brigadier-chef pouvait comprendre ce sentiment. Il l’avait lui-même éprouvé au début de sa carrière. Il est naturel d’être mal à l’aise en présence de cadavres. La mort frappe habituellement par surprise et paraît toujours injuste et incompréhensible. Lorsque la victime est une jeune fille de dix-huit ans, ce sentiment devient intolérable. Pour le tenir à distance, il faut un exutoire : la colère ou la peur. Les deux jeunes gendarmes se trouvaient sous l’emprise de cette dernière.
    Pour autant, il y avait des responsabilités à assumer, des actions à mener. Bouchard était le chef. C’était à lui de prendre les décisions.
    Il allait répondre à Gaillard quand deux silhouettes apparurent au détour du chemin. Il s’agissait d’un homme vigoureux au menton embroussaillé de barbe accompagné d’un prêtre à soutane dont les cheveux blancs étaient coiffés d’une calotte.
    – Vous ne resterez pas seuls, dit Bouchard en reconnaissant les nouveaux venus. Levasseur et le père Jean sont venus vous aider à veiller la petite.

    Le recteur avançait à grands pas, mouillant ses godillots dans les flaques boueuses du chemin qui éclaboussaient le bas de sa soutane. Bien que d’une taille et d’une corpulence moindre que le marchand de charbon qui faisait route avec lui, il devançait ce dernier. Il avait hâte de rejoindre le lavoir tout en appréhendant ce qu’il allait y trouver.
    Les mauvais pressentiments qu’il avait eus durant sa messe étaient hélas fondés. Mais la réalité était pire que ce qu’il avait redouté. Annaïg était morte. Elle avait été retrouvée noyée dans le doué où chaque matin elle venait besogner son

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