Les Lavandières de Brocéliande
linge.
Le père Jean était persuadé que la jeune fille avait mis fin à ses jours. La confession qu’il avait accordée à Annaïg, les paroles de réconfort qu’il lui avait prodiguées et les prières qu’il avait dites pour elle durant la nuit n’avaient servi à rien. Il lui avait pourtant semblé que lorsqu’elle l’avait quitté, la nuit précédente, elle avait retrouvé une forme de paix. Pourquoi s’était-elle abandonnée malgré tout au désespoir ? Et pourquoi le choix d’une telle mort ? Il lui avait fallu du courage pour plonger en pleine nuit dans l’eau glacée. Ce courage, pourquoi ne l’avait-elle pas mis à profit pour vivre ?
Le prêtre avait fait ce qu’il avait pu, mais il ne pouvait s’empêcher de se sentir coupable. En recevant la confession d’Annaïg et en lui donnant l’absolution, il avait en quelque sorte endossé le fardeau de ses fautes et de ses souffrances. Il s’était senti responsable d’elle. Le crime qu’avait perpétré la jeune fille sur elle-même lui était à présent imputable, car il n’avait pas su l’empêcher.
Car c’était bien un crime, et même un double crime qu’avait commis Annaïg. En se noyant dans le lavoir de Concoret, c’est deux vies qu’elle avait volées au Seigneur : la sienne et celle de son enfant à naître. Et ces deux crimes étaient impardonnables aux yeux de l’Église. Il s’agissait de péchés mortels que rien ne pouvait effacer. En se donnant volontairement la mort, elle avait perdu beaucoup plus que la vie : elle avait mis en péril son âme. Et le père Jean, bien malgré lui, était complice de cette transgression suprême des règles divines. Jamais le Seigneur ne lui accorderait le pardon pour avoir abandonné une brebis égarée. Et même si, dans son infinie mansuétude, Dieu le déchargeait de ce poids, sa propre conscience ne connaîtrait plus le repos.
Tout à ses réflexions, le père Jean ne prêta aucune attention à l’estafette garée au bord du chemin et aux lavandièresqui se trouvaient à l’intérieur. Il se dirigea tout droit vers le lavoir où l’attendaient les trois gendarmes. Après les avoir brièvement salués d’un hochement de tête, il s’approcha de la jeune fille allongée et tomba à genoux à ses pieds. Il sortit un rosaire de sa soutane et, les yeux mi-clos, commença à prier à voix basse.
Le marchand de charbon était resté en retrait, triturant les bords de sa casquette qu’il avait ôtée par respect pour la morte, au mépris de la pluie qui inondait son crâne dégarni. Les gendarmes s’étaient également reculés afin que le recteur puisse s’entretenir une dernière fois avec la défunte. Ils savaient que, en cette période tourmentée que traversait la France, la religion représentait souvent l’ultime secours. Face à la mort, elle était la seule à pouvoir apporter une réponse. Et même si cette réponse était impuissante à lever les doutes, au moins parvenait-elle à faire naître, dans un monde voué au chaos, un germe d’espoir.
Le curé fit un dernier signe de croix avant de se relever péniblement. Bien qu’il ne fût plus de première jeunesse, il semblait encore avoir vieilli de plusieurs années en quelques minutes à peine, au point que le brigadier-chef Bouchard manifesta une brusque inquiétude.
– Vous vous sentez bien, mon père ?
Le prêtre fit un petit geste de la main, comme s’il chassait une mouche. Peu importait sa santé. Peu importait s’il se sentait bien ou pas. Il ne songeait qu’à la jeune défunte.
Le gendarme se racla la gorge avant de poursuivre.
– Mon père, nous attendons le médecin afin qu’il nous éclaire sur les circonstances de la mort de cette malheureuse. Je m’apprêtais à aller prévenir la mère lorsque vous êtes arrivé…
Le père Jean réfléchit une seconde, puis répondit :
– Brigadier, je pense qu’il est de mon devoir de prêtre d’annoncer moi-même ce terrible malheur à Maëlle Le Borgne.
– Je comprends bien, mon père, mais nous sommes responsables de l’ordre public et c’est à nous de…
– Je sais, je sais…, l’interrompit le recteur d’une voix douce. Loin de moi l’intention de marcher sur vos plates-bandes, brigadier. Mais, voyez-vous… La triste fin de cette jeune fille pèse sur ma conscience. Je suis peut-être le dernier à l’avoir vue vivante…
Le brigadier-chef manifesta sa surprise.
– Comment cela, mon père ?
– Elle est venue
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