Les Lavandières de Brocéliande
me voir hier soir, tard, au presbytère. Elle désirait se confesser.
– Mais alors… Ce qu’elle vous a dit a certainement un lien avec sa mort. Vous devez nous le dire, mon père.
Le prêtre marqua un long silence, les yeux dirigés vers la terre détrempée où la pluie tombait de plus en plus drue.
– Je ne peux pas, brigadier… Je suis tenu au secret de la confession. Mais j’ai bien peur qu’Annaïg n’ait volontairement mis fin à ses jours. C’est pourquoi je dois l’annoncer à sa mère…
– Mais… Pourquoi vous, plutôt que nous ? insista le gendarme.
Le recteur releva la tête et regarda le brigadier-chef Bouchard dans les yeux.
– Parce que le suicide est considéré comme un péché mortel par l’Église catholique. Les suicidés n’ont droit ni à une messe de funérailles, ni à une sépulture chrétienne. Je ne pourrai même pas apporter le réconfort d’un enterrement décent à cette mère qui vient de perdre son enfant. Je n’en ai pas le droit. Le moins que je puisse faire, c’est de luimanifester mon empathie, et de tenter d’apaiser sa douleur, si cela est possible.
Bouchard hocha la tête d’un air grave.
– Je comprends… Toutefois, rien ne prouve encore qu’il s’agit d’un suicide. Nous devons attendre les conclusions du médecin avant de nous prononcer.
Le prêtre eut un sourire triste.
– Que voulez-vous que ce soit d’autre, brigadier ? Un accident ? Annaïg connaissait parfaitement ce lavoir. Elle n’aurait pu y tomber involontairement. Et puis, regardez ses vêtements. Elle a pris la peine de se changer, de se faire belle. Elle n’était pas vêtue avec autant de soin lorsqu’elle est venue me voir.
Le brigadier-chef ne pouvait s’empêcher de partager les conclusions du curé. Il restait toutefois l’hypothèse du crime, mais il n’osait pas l’aborder ouvertement.
– Une jalousie, peut-être ? Quelqu’un qui lui voulait du mal ?
– Comment voulez-vous que quelqu’un puisse vouloir du mal à une jeune fille de dix-huit ans ? répliqua le recteur. Les lavandières sont connues pour avoir la langue bien pendue, c’est vrai, et les médisances vont bon train. Mais de là à s’en prendre physiquement à… De là à… Ne me forcez pas à en dire plus, brigadier, la simple évocation de ce que vous insinuez me donne le vertige… Nous traversons des temps difficiles, je le reconnais, mais je ne vois personne au village qui aurait pu…
Le prêtre ne termina pas sa phrase, se contentant de secouer la tête. Il y avait de nombreux pécheurs à Concoret, comme partout ailleurs, mais il n’y avait pas d’assassins.
– Très bien, mon père. Je vous laisse le soin de prévenir Maëlle Le Borgne. Prenez tous les égards possibles. Mais dites-lui bien que nous devons l’interroger au sujet del’emploi du temps de sa fille. Annaïg vous a-t-elle dit où elle comptait se rendre après s’être confessée à vous ?
– Je lui ai conseillé de rentrer chez elle. Elle m’a promis qu’elle allait le faire.
– Et elle l’a fait, confirma le gendarme. Vous avez vous-même remarqué qu’Annaïg avait changé de vêtements. Elle est donc forcément retournée chez elle. Ce n’est pas vous qui l’avez vue pour la dernière fois. Sa mère l’a fait après vous.
Le curé souleva brièvement les sourcils. Il n’avait pas pensé à ce détail.
– Oui… Sans doute… Vous avez raison…
– C’est pourquoi vous comprendrez, mon père, que même si les circonstances sont mal choisies, nous devons interroger Maëlle Le Borgne… Je pense qu’elle voudra voir le corps de sa fille. Nous l’attendrons ici.
– Je le lui dirai, brigadier, faites-moi confiance.
Le recteur s’éloigna rapidement en direction du village, sa soutane et ses souliers trempés et crottés. La remarque du gendarme venait de le plonger dans des abîmes de réflexion.
Annaïg n’était pas allée se jeter directement à l’eau après s’être confessée à lui.
Elle était tout d’abord rentrée chez elle, comme il le lui avait recommandé. Elle avait retrouvé sa mère et lui avait sans doute avoué son secret. Puis, pour une raison inconnue, elle s’était changée et s’en était retournée au lavoir.
Qu’avait-il bien pu se passer entre ces deux moments ?
Une seule personne était désormais capable de répondre à cette question.
Maëlle Le Borgne. Celle qu’on appelait la vieille Dahud.
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Gwenn et ses amies
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