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Les Lavandières de Brocéliande

Les Lavandières de Brocéliande

Titel: Les Lavandières de Brocéliande Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Edouard Brasey
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moyens d’afficher les signes d’un deuil digne et respectable.
    Tous ces préparatifs lui avaient pris toute la nuit. Elle n’avait terminé qu’à l’aube. Elle ne ressentait pourtant aucune fatigue. Juste une immense lassitude. Une lassitude qui concernait sa vie entière, succession d’actions chaotiques vouées à une obscure fatalité.
    Dahud avait toujours cherché à garder la maîtrise de son sort et de celui de sa fille. Elle avait voulu tout contrôler. Pourtant, elle n’avait fait que se laisser porter par les flots, sur une barque sans rames ni gouvernail jetée dans une rivière sinueuse dont elle ignorait la destination finale. Elle avait eu un amant, jadis, qu’elle n’avait pas choisi et qui l’avait abandonnée. Elle avait eu un enfant, qu’elle n’avait pas choisi non plus et qui l’avait abandonnée à son tour. Car c’est cela qu’elle ressentait, ce matin : un profond sentiment d’abandon. Elle s’était souvent plainte de l’ingratitude et du mauvais caractère d’Annaïg, mais à présent elle lui en voulait d’être partie pour toujours.
    Elle n’avait pas toujours été une bonne mère, mais elle avait été une mère. Une mère rude et maussade, qui avait sacrifié sa vie pour sa fille. La seule fois où elle l’avait tenue dans ses bras et l’avait embrassée, c’était lorsqu’elle l’avait plongée dans l’eau du lavoir. Désormais, elle serait seule, livrée aux démons de ses cauchemars.
    Par moments, la mémoire des événements de la nuit ressurgissait du brouillard épais où elle les avait plongés. Elle revoyait sa fille agoniser entre ses bras. Elle sentait l’odeur du sang. Elle revivait chaque seconde, non plus dans l’agitation et l’urgence, l’esprit embrumé par l’alcool, mais avec sa lucidité retrouvée.
    Pour tenir à l’écart les remords, elle se disait qu’elle avait agi comme elle devait le faire. Elle avait pris soin de sa fille, elle avait tout fait pour la sauver de la honte et, même siles choses avaient mal tourné, Annaïg était plus heureuse là où elle se trouvait. Elle lui avait épargné la vie de frustration et de malheur qu’elle-même avait vécue. Elle avait fait son devoir de mère. À présent, elle se sentait libérée .
    Libérée, oui. Sans attaches. Sans entraves. Sans responsabilités. Sa fille ? Hier encore, elle était pour elle un attachement, une préoccupation, un souci aussi. Son seul lien avec la vie. Mais sa fille appartenait à ce passé dont Dahud faisait désormais le deuil. Elle rejoindrait bientôt les fantômes évanouis du baron et de ses amours adolescentes.
    Elle ressentit alors une sorte d’apaisement. Comme les prémisses de la quiétude de la mort. Dans son immobilité parfaite, barricadée dans ses voiles de deuil, la vieille lavandière échappait soudain aux illusions d’une existence dépourvue de sens. Elle était ailleurs, déjà.
    Dahud perçut soudain un bruit de pas sur le seuil de la porte. Une main débloqua le double auvent de l’ usset . La lumière grise du dehors, mouillée d’un crachin perfide, frappa la statue d’ombre qui attendait son heure.
    Le père Jean décrotta ses chaussures aux semelles boueuses sur la pierre de l’entrée avant de pénétrer dans la demeure dont il referma la double porte. Il se tenait debout, face à la femme en noir. D’un simple coup d’œil autour de lui, il nota les infimes détails qui, mieux qu’un long discours, lui fournissaient une confirmation des pensées qui l’avaient traversé en venant jusqu’ici. Cet intérieur ordonné, ce lit refait avec des draps propres, ces vêtements de deuil. Le recteur était venu annoncer à une mère la mort tragique de sa fille. Mais il n’y avait rien à annoncer. Elle savait déjà.
    Le recteur prit place sur le banc situé en face de la vieille femme enténébrée et amorça la conversation comme s’ils venaient de se quitter.
    – Cela fait combien de temps que tu n’es plus venue à l’église, Maëlle ?
    Dahud ne répondit pas. Ils ne s’étaient pas adressé la parole depuis près de vingt ans.
    – Je me souviens encore de ta dernière confession, reprit le prêtre. J’en porte encore le secret au fond de mon âme, Maëlle. Comme je porte le secret que m’a révélé Annaïg.
    Le père Jean s’exprimait d’une voix basse et lente, sur un ton de confidence. Son visage était grave, empreint de tristesse, mais demeurait ouvert à l’écoute et au pardon.
    – Les

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