Les Lavandières de Brocéliande
confidence. Vous me comprenez, n’est-ce pas, monsieur le baron ?
Hubert observait à son tour Rozenn avec insistance.
– Je vous comprends parfaitement, major.
– Eh bien, c’est dit ! conclut le militaire en claquant des mains. Je viendrai vous chercher demain après-midi, mademoiselle. Vous serez rentrée avant la nuit. Mais avant cela…
Il se tourna vers Philippe et Hubert.
– Je réglerai le sort de ce Loïc Le Masle…
31
Mardi 2 novembre 1943, jour des morts
C’est Léonard qui découvrit le premier l’affiche sur les contrevents de sa boutique. Les caractères gothiques, tout en angles et en pointes, ne rendaient pas sa lecture aisée, bien qu’elle fût rédigée, non en allemand, mais en français. Les Boches l’avaient placardée à l’aube. Quelle qu’en soit la raison, ce n’était pas bon signe.
Le premier mouvement de l’épicier fut d’arracher le papier, mais il s’arrêta à temps. Il savait que son geste aurait été interprété comme un acte de terrorisme. Il en aurait été puni par les occupants avec la même sévérité que s’il avait fait dérailler un train.
– Tu as eu la tienne, toi aussi ? entendit-il grogner dans son dos.
En se retournant, Léonard reconnut Erwann, le boulanger, dont la devanture avait également bénéficié de la délicate attention des Allemands.
– Crénom, j’y comprends rien à leur charabia… Et toi ? s’impatienta le marchand de pain en essayant désespérément de déchiffrer les pattes d’araignée.
– Moi non plus, répondit Léonard. Encore une de leurs interdictions, à coup sûr. Ou une réquisition de ceci ou de cela. Ils en auront jamais fini de nous emm…
– Tiens, v’là Levasseur, le coupa Erwann. P’têt’ que lui saura la lire, la prose des Teutons. Hé ! Levasseur ! Viens voir un peu par là. On a d’la lecture…
Le marchand de bois approcha, sourcils froncés, la pipe entre les dents.
– Qu’est-ce que c’est encore que ce foutoir ? grommela-t-il sans ôter le tuyau fumant de sa bouche.
– C’est encore un coup des Frisés, lâcha Léonard d’un ton méprisant. On t’attendait pour savoir ce qu’ils nous veulent encore…
– Attendez voir, fit Levasseur en tendant le nez vers l’affiche collée de frais. Pourraient pas écrire normalement, ces saligauds ?
Il scruta attentivement les caractères noirs, suivant les lignes d’un doigt boudiné, remuant les lèvres comme un élève interrogé devant le tableau noir.
– Oh, merde alors ! jura-t-il lorsqu’il eut enfin compris le contenu du placard.
– C’est quoi qu’y disent, Levasseur ? le pressa Erwann.
– C’est à propos de Loïc, rétorqua le marchand de charbon d’un air incrédule.
– Le bossu ? s’inquiéta Léonard.
– Oui, Loïc Le Masle, c’est bien lui, confirma le père Levasseur.
– Ça parle de la petite ? interrogea Erwann. Ils le recherchent à cause du meurtre d’Annaïg Le Borgne ?
Levasseur poursuivit sa lecture en redoublant d’application.
– Non. Ils en parlent pas. Mais la tête du charbonnier est mise à prix, ça, c’est sûr. Les cousins appellent la population de Concoret à leur livrer Le Masle sans délai ou de tout faire pour faciliter sa capture. Quiconque refusera de collaborer à son arrestation sera considéré comme compliceet subira le même sort que celui qui lui est réservé. C’est marqué là, noir sur blanc…
– Ben ça ! commenta Léonard. Déjà que le village en avait après lui, au bossu, v’là que les Fridolins s’y mettent. Mais qu’est-ce qu’il a donc fait, au juste, si c’est pas l’affaire de la petite Le Borgne ?
Le père Levasseur reprit sa lecture en ânonnant chaque mot. Ce qu’il découvrit provoqua en lui une telle surprise qu’il faillit en lâcher sa pipe.
– Ah, ça alors ! Bon Dieu de bon Dieu ! Si j’m’attendais… Ah ! Quelle histoire !
– Mais qu’est-ce qu’y a ? Qu’est-ce qu’y a donc ? le pressaient les deux commerçants.
– Y a que… Ah non, quelle histoire ! Y a que le Loïc, y paraît que c’est un terroriste ! I’fait partie des jeunes qui se sont réfugiés dans la forêt pour échapper au S.T.O !
– T’en es sûr ? s’exclama Léonard. Loïc, un résistant ? Il a bien caché son jeu, l’animal…
– Et dire qu’on pensait qu’i f’sait le jeu des Teutons, pas plus tard qu’hier, ajouta Erwann. On l’disait collabo, alors qu’il était d’l’aut’
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