Les Lavandières de Brocéliande
côté… Bah, on a failli lyncher un héros…
– Moi, j’ai jamais pensé ça d’lui, se défendit Levasseur en tirant une bouffée. C’est les vieilles biques, là, qu’arrêtaient pas de l’accuser. J’avais honte pour elles.
– Moi non plus, j’y croyais pas, se justifia Erwann. Mais après qu’on a retrouvé la petite au fond du lavoir, y en a qui étaient prêts à lui faire la peau, au bossu. Sans procès ni plaidoirie…
– Remarque, intervint Léonard, c’est pas parce qu’il fait partie du réseau des p’tits gars réfractaires au S.T.O. qu’il a pas zigouillé l’Annaïg. On peut bien être un héros d’un côté et un salaud de l’autre, pas vrai ?
– C’est tordu, ta remarque, dit Levasseur. Moi, j’préfère croire qu’y a les bons d’un côté et les méchants d’l’autre. Sinon, on s’en sort plus.
– T’as raison, le soutint Erwann. Moi, j’dis que le Loïc y peut pas avoir fait l’coup si c’est un d’not’bord. Mais on l’a méchamment traité, l’pauv’gars. Qu’est-ce qui va devenir, maint’nant, avec les Chleus aux fesses ?
– Il peut toujours s’cacher dans le chêne à Guillotin, pas vrai ? fit Léonard.
L’abbé Guillotin, sans aucun lien de parenté avec son célèbre homonyme, inventeur du fameux couperet républicain destiné à raccourcir les aristocrates, était un prêtre de Concoret victime de la répression anticléricale en 1791. Traqué par l’armée révolutionnaire, il s’était réfugié à l’intérieur de l’énorme chêne creux de dix mètres de tour et mille ans d’âge qui faisait l’orgueil du village. Lorsque les bleus passèrent devant l’auguste chêne, ils constatèrent que son ouverture était masquée par une toile d’araignée et abandonnèrent leurs recherches. La légende dit que c’est Notre-Dame de Paimpont qui avait tissé cette toile pour épargner le prêtre fidèle. C’était là l’un des rares prodiges chrétiens qu’avait connus ce village de sorciers.
Le père Levasseur massait son menton embroussaillé d’un air perplexe.
– Faudrait un miracle…, marmonna-t-il d’un air mystérieux. Oui, un miracle…
Loïc les vit arriver de loin. Une escouade de soldats casqués et armés portant l’uniforme de la S.S. Ils étaient accompagnés de chiens qui aboyaient en tirant sur leur laisse. Cela faisait un raffut de tous les diables dont les échos se répercutaient dans toute la forêt, faisant déguerpir les lièvres et s’envoler les colonies de perdrix.
Le charbonnier savait qu’ils venaient pour lui. Depuis la visite des gendarmes, il se doutait bien que les ennuis ne faisaient que commencer. Il avait craint tout d’abord une battue des villageois. Les Allemands les avaient remplacés. Pour quelle raison ? Loïc l’ignorait, mais après tout, qu’est-ce que cela changeait ? Aux yeux de tous, il était le monstre, le pestiféré, celui dont il fallait se débarrasser par tous les moyens.
La pensée de la jeune lavandière noyée dans le lavoir n’avait cessé de le hanter depuis la veille. Elle n’avait jamais été tendre avec lui, mais elle ne méritait pas une fin pareille, et il éprouvait à son égard de la tristesse et de la compassion. Mais le fait qu’il ait été, sans le vouloir, présent près du lieu où on l’avait retrouvée morte le rendait évidemment suspect. Loïc ne songeait même pas à la façon dont il pourrait se justifier auprès de ses accusateurs. Son procès était perdu d’avance, d’autant plus qu’il ne savait pas maîtriser les mots qui l’auraient aidé à assurer sa défense. Il s’était toujours exprimé avec difficulté, et ses silences ressemblaient à des aveux. S’il y avait un criminel à Concoret, ce ne pouvait être que lui. Personne n’irait chercher plus loin.
Face à ces menaces, le charbonnier avait agi de la seule façon qu’il connaissait : il s’était caché. Délaissant sa hutte de bois où on pouvait aisément le débusquer, il s’était mussé à un jet de pierre de là, dans un fourré d’où il pouvait épier les alentours sans être vu. Il avait pris soin de frotter ses vêtements avec les laissées d’un sanglier afin que les chiens ne repèrent pas son odeur. Car il s’était attendu aux chiens, bien sûr. Il réagissait naturellement comme une bête des bois. Il était moins un être humain qu’un gibier traqué.
Lorsqu’ils eurent découvert le repaire du charbonnier, les Allemands
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