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Les Mains du miracle

Les Mains du miracle

Titel: Les Mains du miracle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Joseph Kessel
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Himmler s’était assoupi à
moitié, les yeux clos, dans la béatitude que lui dispensaient les mains du
docteur.
    Alors, Kersten avait entrepris
encore une fois d’arracher un geste de clémence à Himmler. Il avait fait porter
ses efforts surtout en faveur de la France, car c’est elle que le plan de
Himmler avait pour objectif principal. Kersten pensait que le jour où le
Reichsführer cesserait d’affamer systématiquement ce pays, les deux
autres – Hollande et Belgique – bénéficieraient de la même mesure,
pour ainsi dire, automatiquement.
    Le docteur avait parlé chaque matin
à son patient des grands artistes, des grands écrivains de France, et davantage
encore de ses grands rois, de ses chevaliers, de ses paladins. Mais Himmler,
loin de céder aux efforts de Kersten, avait montré la fierté la plus grande
pour son plan démoniaque. Il disait :
    — Les paysans survivront
toujours. C’est ce qu’il nous faut : une France purement agricole, vache à
lait du Reich. Mais les citadins – donc les ouvriers, les
intellectuels – vont périr. Une douzaine de millions environ – nous
avons fait le calcul.
    Himmler disait encore :
    — Je suis certain du résultat.
Si les Français hésitent à accepter du papier-monnaie, nous munirons les
intermédiaires de bonnes pièces d’argent que nous avons ramassées dans toute
l’Europe. Et si l’argent ne suffit pas, nous donnerons de l’or. Et à l’or les
Français ne sauront pas résister.
    Himmler achevait :
    — Dans tout cela, l’Allemagne
ne sera pour rien. La mort de millions de Français retombera sur les
trafiquants du marché noir, c’est-à-dire des Français pur sang. Nous, nous
garderons les mains propres.
    Kersten était parti pour Hartzwalde,
sans avoir pu obtenir la moindre atténuation à cette sorte de crime parfait.
Et, juste avant son départ, il avait eu par Brandt les informations les plus
inquiétantes sur la situation alimentaire de la France. Les trafiquants du
marché noir, forts des sommes inépuisables qui venaient des caisses allemandes
remplies par la contribution de guerre, suçaient comme des sangsues la
substance vitale de la nation. La nourriture se raréfiait de plus en plus, le
moral s’affaissait, la tuberculose faisait des progrès terribles…
    Et la pensée des enfants
sous-alimentés, à qui l’on mesurait avec avarice un pain immonde, ne quittait
pas le docteur, tandis qu’il voyait ses fils élevés au lait le plus riche, avec
les œufs les plus frais, la viande la plus saine. Et la vision le poursuivait
de toutes les femmes, de tous les hommes affaiblis par la faim alors
qu’Irmgard, grâce à l’abattage clandestin pratiqué sur le domaine, le gavait de
tendres volailles, et de la chair des veaux et des porcs les plus gras.
     

6
    Mais, après ces vacances, et au début
de l’année 1943, l’occasion, si avidement attendue par Kersten, s’offrit enfin.
Dans les premiers jours de février, Himmler, de son Quartier Général en
Prusse-Orientale où il se trouvait alors, manda le docteur d’urgence.
    Kersten trouva Himmler en pleine
crise et dans un état de dépression profonde. La souffrance physique, cette
fois, n’était pas seule en cause. Elle s’accompagnait d’une angoisse diffuse,
d’une mélancolique détresse qui relevaient – pour étrange que cela fût
chez le Reichsführer des S.S. – du pire sentimentalisme germanique.
    Le paysage des voies ferrées, le
brouillard glacial, le compartiment étroit du train qui servait de Quartier
Général, la solitude qui était celle de Himmler au milieu d’un état-major dont
il soupçonnait chaque officier de le trahir, expliquaient ce veule désespoir.
Il fallait y ajouter le désastre enfin consommé de Stalingrad et le
débarquement des Alliés en Sicile. Les écrits du destin flamboyaient sur le
mur. Ces éléments conjugués rendaient Himmler aussi vulnérable aux propos d’un
ami que l’eût été un adolescent du temps de Werther.
    Kersten était trop averti des
humeurs de son malade pour ne pas sentir chez lui cette tonalité intérieure.
Après l’avoir soulagé de ses douleurs, il s’assit à son chevet et lui parla sur
le ton le plus doux, le plus rêveur et le plus lamentablement romantique.
    — Vous n’avez jamais réfléchi,
Reichsführer, dit-il, combien il doit être douloureux, pour une mère française,
de voir son enfant tordu par les crampes de la faim, alors qu’elle n’a rien à
lui donner à

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