Les Mains du miracle
plusieurs
complices de marque. En outre, ce Thurkow possède des tableaux anciens de
valeur très grande. Nous les confisquerons au profit du Reich. Ses amis, que
nous allons prendre également – une douzaine environ –, sont tous de
gros industriels, des banquiers, des armateurs, et ils ont aussi des toiles de
maîtres. Vous voyez, Reichsführer…
— Très bien, dit Himmler.
Excellent travail. Quand les hommes importants disparaissent, les petites gens
n’ont plus de chefs. Assurez-vous de ces traîtres. Je vous indiquerai ensuite
comment agir avec eux.
Le Reichsführer avait fini de
s’habiller et se dirigea, suivi du Gauleiter, vers le bureau qui attenait à la
chambre. Sur le seuil, Himmler se retourna pour demander à Kersten s’il
viendrait au dîner de Mussert.
— Je vous prie de m’excuser,
dit le docteur, mais je suis déjà invité par un de mes anciens malades.
— Faites comme vous voudrez,
dit Himmler en haussant les épaules, mais revenez absolument demain matin pour
me soigner.
Kersten prit une voiture au garage
des S.S. et se fit conduire par un chauffeur en uniforme jusqu’à Wassenaar,
faubourg résidentiel, aux portes de La Haye. Son ami Thurkow y habitait une
maison où l’avait relégué la Gestapo.
Le docteur passa la journée auprès
de son ami. Ces heures formèrent un mélange singulier de douceur et d’amertume.
Kersten et Thurkow avaient l’un pour
l’autre une solide et profonde tendresse. Ils ne s’étaient pas revus depuis
trois ans. Ils étaient heureux de se retrouver. En même temps, ils savaient que
cette rencontre était, sans doute, la dernière. Ils n’en parlaient pas. À quoi
bon ?
Des visiteurs passaient, rapides,
furtifs. L’un d’eux, qui vint avec sa femme, hollandais, mais d’ancienne souche
française, s’appelait M. de Beaufort. Il faisait partie de la
Résistance aux Pays-Bas. Il peignit au docteur, en termes vifs et brefs, son
existence clandestine, traquée de bête aux abois et lui demanda s’il pouvait
faire parvenir en Suède un courrier secret qui, de là, serait transmis à
Londres. Beaufort faisait cette démarche désespérée, uniquement parce que tous
ses contacts, tous ses moyens de liaison étaient coupés.
— Votre paquet ira à Stockholm,
je vous le garantis et les Allemands n’en sauront rien, dit Kersten.
Il demanda ensuite à qui devait être
délivré le courrier.
— Au baron Van Nagel, délégué à
Stockholm de notre gouvernement réfugié à Londres, répondit Beaufort.
Il s’en alla peu après. Les deux
amis restèrent seuls. La nuit tomba. Chaque minute devint longue, lente,
lourde. Quelque part, dans la maison, une vieille horloge néerlandaise sonna
onze coups. Kersten maîtrisait ses nerfs de plus en plus difficilement.
« On arrête avant l’aube, pensait-il. Dans six heures, au plus tard, les
hommes du la Gestapo viendront chercher Thurkow. »
Le docteur se leva, prit rapidement
congé de son ami, promit de le revoir le lendemain. Ils savaient bien, l’un
comme l’autre, qu’il ne le pourrait pas, mais continuèrent de jouer jusqu’au
bout le jeu de l’ignorance. À quoi bon s’attendrir ?
La voiture militaire S.S. emporta
Kersten dans la nuit. Il ne pensait à rien, exprès. Soudain, malgré l’obscurité
(il connaissait La Haye mieux que toute ville au monde), il vit que le chemin
de retour le faisait passer par Klingendal, le faubourg où était situé le
château réquisitionné par Seyss-Inquart pour Himmler. Sans réfléchir davantage,
Kersten ordonna au chauffeur de l’y conduire.
Un premier poste de police l’arrêta.
Il montra son laissez-passer spécial signé par le Reichsführer lui-même et fut
salué avec respect. Deuxième poste… Même jeu. Le dernier poste se trouvait à
l’entrée du château. Là, on demanda au docteur ce qu’il désirait.
— Voir le Reichsführer, dit
Kersten.
— C’est très bien, dit le chef
des sentinelles. Il est justement rentré depuis dix minutes.
Un agent de la Gestapo guida le
docteur jusqu’à la chambre de Himmler. Celui-ci était en train de se
déchausser. Tenant encore un soulier, il adressa à Kersten un regard stupéfait
et ravi.
— Êtes-vous donc lecteur de
pensées ? s’écria Himmler. Je songeais justement à vous. J’ai des crampes,
mais je vous croyais couché et, comme je ne souffre pas trop, je ne voulais pas
vous réveiller.
— Je l’ai senti et me voilà,
dit Kersten sans battre d’une
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