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Les mannequins nus

Les mannequins nus

Titel: Les mannequins nus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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attend et c’est le retour, les cris, les flaques, les chiens. Je me traîne, je vais tomber. Vite. Il faut avancer. Vite. Courir, ne pas imiter les malheureuses qui s’écroulent, être plus forte qu’elles, tendre ma volonté, et je fais une espèce d’effort nerveux, je me répète tout le long du chemin : « Je souffre moins, cela ira mieux aujourd’hui. »
    Et nous arrivons, l’appel maintenant… c’est une amie qui est devant moi, une jeune femme que j’aime beaucoup, que j’ai toujours soutenue ; elle a des trous dans tout le corps. Elle n’est qu’une plaie ; un de leurs chiens l’a mordue à la jambe. Cette morsure laisse un trou béant d’où s’échappe le pus. Elle me voit dans cet état, presque comme elle :
    « — Tu vois, tu étais si forte, tu ne voulais pas me croire. Tu es vaincue, tu comprends maintenant que quels que soient tes efforts, tu ne rentreras pas chez toi. »
    Elle me parle de son mari qui est en France, puis elle essaye de me convaincre :
    « — Françoise, je t’en supplie, entre avec moi au Revier. Moi c’est demain matin, je n’en peux plus, à quoi bon s’obstiner ; à deux, ce sera tellement mieux, avec un peu de chance on nous mettra dans le même lit et nous attendrons tranquillement la mort en bavardant, pourquoi s’imposer tant de souffrances inutiles. Viens avec moi. »
    Je résiste encore malgré la tentation.
    « — Plus tard peut-être. »
    Je veux gagner du temps.
    Décembre… Le gel, le verglas, nous glissons, nous tombons. Les nouvelles et les bobards envahissent le camp avec plus de force que jamais. L’offensive russe mon seul espoir – dont personne ne parlait plus, reprend, paraît-il, avec violence. Nous n’osons y croire, pourtant, en confirmation de ces bruits, les Allemands envisagent pour la première fois l’évacuation partielle du camp et le cauchemar des « transports » commence. Ce mot transport signifiait exactement : départ pour une destination inconnue, entassées dans un wagon plombé.
    Tous les soirs en rentrant du travail, nous avons la vision de ces femmes désignées pour les transports et qui, rasées de frais, souvent pieds nus, attendent près du quai parfois des nuits entières, par la température ambiante de - 20°, le moment du grand départ pour X. C’est ce X redoutable qui fait de cette menace un épouvantail, tout au moins en ce qui me concerne.
    Les rumeurs les plus diverses courent : les unes prétendent que ce sont des transports « noirs », que les crématoires étant littéralement surchargés, il en existait un autre à une vingtaine de kilomètres et que c’était tout simplement le but du voyage.
    La terreur que les Polonaises, en général bien informées, ont de ces transports n’est pas pour nous rassurer. D’autres, au contraire, sont persuadées qu’il s’agit d’un repli du camp vers l’Allemagne, que le travail sera moins dur, que nous serons mieux traitées et surtout, surtout, que rien ne peut être pire que Birkenau.
    J’ai la hantise de ce voyage vers un inconnu que je ne peux croire meilleur, j’ai vécu à Birkenau, en dépit de tout, rien ne prouve, malgré mon état, que je ne puisse y vivre encore un peu, et si vraiment les Russes approchent, il faut tenir sur place. Nous sentons bien que le dénouement, quel qu’il soit, approche, les Allemands deviennent d’une nervosité anormale, il y a un relâchement évident dans la surveillance du travail…
    Nous sortons de la Weberei, ce soir, plus sales, plus harassées que jamais. Il est plus tôt que d’habitude, ce qui est anormal. Notre colonne s’ébranle ; tiens, nous ne nous dirigeons pas vers le camp. C’est la première fois ; que se passe-t-il ? Je marche avec peine, soutenue par mes compagnes. Mes pieds sont de plus en plus enflés, mais ce soir, je n’y songe pas, toutes mes pensées sont tendues vers le but de notre marche. Où nous dirige-t-on ?
    Les 1 500 femmes s’étonnent comme moi et leur étonnement se traduit par une espèce de remous, d’ondulation : une rumeur s’élève, la gardienne daigne nous expliquer :
    « — Nous allons à la douche dans une autre partie du camp. »
    Mes amies m’interrogent à voix basse tout en marchant.
    « — C’est bizarre, qu’en penses-tu ? Dans quelle direction allons-nous ? »
    Je ne réponds pas. Nous marchons toujours. Soudain j’aperçois des arbres touffus, des allées et je crois comprendre. Je souffle à ma

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