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Les mannequins nus

Les mannequins nus

Titel: Les mannequins nus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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n’y a pas une Française. Tout à coup, j’aperçois la porte ouverte du « blockafelst », petite pièce servant de chambre à la blockowa, je m’approche… et je vois… un petit lit confortable recouvert d’une peau de mouton blanc, une table devant un feu, un bon feu de bois ; comme une folle je m’approche, la vue de ce feu me fascine. La blockowa, assise devant la table, chaudement habillée, dévore des tartines de beurre avec du café fumant. Comment décrire la sensation éprouvée ce matin-là devant ce spectacle, cette chaleur, ce lit. Je désirais trop tout cela et j’ai crié de désespoir. La blockowa m’aperçoit, se lève comme une furie, « Vec », me frappe au visage. Elle voit les plaies de mes pieds nus, car je n’ai pu entrer dans les sabots ce matin, je les tiens à la main ; elle m’en arrache un et me le lance sur le pied avec rage : « Chausse-toi. » Sous la douleur, je perds à demi connaissance.
    Enfin, on vient nous chercher. C’est le même refrain. « Chausse-toi » me dit l’infirmière polonaise qui va nous conduire au Revier ; et elle ajoute en mauvais français :
    « — Il le faut, tu ne peux marcher pieds nus avec les plaies dans la boue, il y a deux kilomètres à faire. »
    Je suis hagarde, la douleur me rend presque folle.
    D’un seul coup, j’introduis les moignons que sont devenus mes pieds dans les sabots.
    La boue est glacée et recouverte de verglas ; quel cortège ! Les femmes râlent presque, s’arrêtent à chaque pas. Je ne crie plus, je me hâte, je ne veux plus penser qu’à la paillasse qui va me recueillir, où je vais peut-être pouvoir dormir, moins souffrir, mourir couchée…
    Nous arrivons. Nues pendant une heure. Ce Revier est sinistre, glacé. Pas une Française. On me désigne un lit. Une seule petite couverture, je tremble de froid. J’essaye de parler à mes voisines sans succès ; je supplie pour avoir une autre couverture, on me rit au nez. Mes pieds sont devenus complètement noirs et ma diarrhée s’est aggravée. La doctoresse de ce Revier est une Hongroise qui parle couramment le français ; je l’interpelle au passage, la suppliant de venir soigner mes blessures…
    « — Oui, tout à l’heure. »
    Pendant quatre jours, elle m’a répondu : « Tout à l’heure. » Cette misérable dont le devoir était de nous soulager, « organisait » le pain et la margarine des grands malades qui ne pouvaient se défendre. Je lui demande un simple bout de papier pour isoler mes pieds, elle ne répond même pas et rit avec ses compagnes en dévorant de succulentes pommes de terre. C’est pendant ces quatre jours que j’ai été le plus près de la mort… Je n’avais même plus toute ma connaissance ; je me souviens pourtant d’un curieux détail qui prouve que je n’avais pas tout à fait perdu conscience. Une nuit, en me traînant pour regagner mon grabat d’où j’étais sortie pour atteindre (au moins vingt fois par nuit) le misérable seau posé non loin de mon lit, je me souviens d’avoir été suffoquée par l’horrible odeur du pus et des déjections ; alors j’ai songé : « Cette odeur est encore presque une odeur vivante ; c’est bon. Tant que je la respirerai, c’est que je vis… »
    Il y a quatre jours que je suis dans ce Revier sans avoir reçu le moindre soin. Les infirmières ne me donnent même plus à manger. Le matin, l’une d’elles vient simplement s’assurer que je ne suis pas encore morte.
    Aujourd’hui, je vois arriver un nouveau médecin S.S. Il s’entretient en hurlant avec la doctoresse hongroise ; il dit que nous sommes des fainéantes, qu’il n’y a pas encore d’ordre de sélection nouvelle, sans cela on verrait… en attendant toutes celles qui n’ont pas 39°5 seront renvoyées au travail et il commence à exiger les températures en faisant le tour du block. En arrivant devant moi, il demande ce que j’ai. « Pieds gelés et diarrhée » répond la doctoresse en soulevant les couvertures. Il a un geste de répulsion, dit quelque chose et passe.
    Quelques heures après, j’entends crier mon numéro. Il faut me lever, aller au centre de la salle où sont réunies les femmes appelées comme moi. Je me rends compte que ce sont les plus grandes malades : pieds gelés, ventres rongés par les tumeurs, seins ouverts par les abcès. On nous range près de la porte ouverte (le thermomètre marque – 25°), nous sommes nues sous une couverture car il a

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