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Les mannequins nus

Les mannequins nus

Titel: Les mannequins nus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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poudre. Avoir osé dire non à l’organisation meurtrière des nazis, n’est-ce pas un crime que, seule, la mort peut punir ?
    — On nous fait descendre dans la cour. Il fait froid. Froid dehors. Froid dans nos cœurs. Au sentiment de la révolte, de la douleur, se mêle un sentiment confus d’orgueil. Elles voulaient faire sauter les « créma » . Elles ont osé faire cela malgré une terreur sans nom, malgré la trique toujours suspendue au-dessus de nos têtes.
    — On nous range par cinq. Toujours par cinq. Tous les kommandos de la nuit, tous ceux présents au camp sont tenus d’assister au spectacle. Deux condamnées seront pendues à 5 heures, deux autres au retour des kommandos du jour. L’exemple devra servir – le kommando de couture veut se mettre devant nous. Mais les S.S. responsables de l’organisation exigent que le kommando de l’Union soit aux premiers rangs. Les internés hommes dressent l’échafaud. Les coups de marteau retentissent lugubres au milieu d’une foule silencieuse.
    — L’heure fatale approche. Deux femmes encadrées par des S.S. passent. Elles avancent tête haute. Elles montent. D’abord l’une, ensuite l’autre. La deuxième crie d’une voix sourde : « Vive la Pologne libre ! À bas le fascisme ! » Le bourreau S.S. pousse la tête de chacune des victimes dans le nœud coulant. Il fait tournoyer le corps sur lui-même et c’est fini. Hessler paraît quelques minutes plus tard. Il va prononcer un discours. Il crie, il gesticule. On le comprend à peine. Des menaces pour le sabotage. La vie sauve à celles qui resteront disciplinées.
    — Le soir, le même spectacle recommence pour les kommandos du jour…
     
    Ella, Roza, Torzka, Regina : les dernières pendues d’Auschwitz.

26

LES DERNIERS JOURS
    Le froid (155) … voilà le pire, le pire de tout, le plus cruel ennemi et c’est à lui maintenant que nous allons nous mesurer.
    Nous sommes en novembre, l’hiver est là. Tous les mois précédents, notre leitmotiv était : « Si la guerre finit avant l’hiver » ou « jusqu’à l’hiver nous tiendrons », ou bien encore « tant que l’hiver n’est pas là… ».
    Mais pas une de nous, même parmi les plus optimistes, n’osait envisager un hiver, ou un nouvel hiver dans les conditions d’existence du camp…
    Les jours ont passé et brusquement il est présent, terriblement présent. Jusqu’à maintenant, nous avions cru avoir froid ; les pluies de mai, le vent, les matins brumeux avaient déjà transis nos corps demi nus. Nous nous apercevons au début de ce mois de novembre que cela n’était rien, que tout reste à subir. Comment espérer maintenant la fin de la guerre avant l’hiver ? Il faut donc l’affronter et nous ne sommes plus de taille. Il nous tuera plus sûrement que tout le reste.
    Avec le recul, en réfléchissant à la somme de souffrances qu’il a fallu endurer, je crois comprendre que l’excès de souffrance diminuait la souffrance elle-même.
    En effet, on ne peut à la fois être tenaillée par la faim, transie de froid et se tordre dans les affres de la diarrhée. Quelque chose domine, quelque chose qui fait trembler les mains devant la gamelle, ou se soulager de n’importe quelle façon, mais le froid domine toujours oui, c’est le pire avec la soif peut-être.
    Après le réveil, à 3 heures, sortir de sa couverture humide, mais où le corps a accumulé une espèce de chaleur, commence à devenir un vrai supplice. Et l’appel ! Sous les coups, nous nous rangeons cinq par cinq et nous restons là, offertes au vent qui nous pénètre, nous ne sentons plus nos pieds ni nos mains. J’ai une robe aux manches trop longues et je rentre mes mains pour les protéger. Pas une femme ne dit : « J’ai froid » ; à quoi bon d’ailleurs ; ce mot ne correspond plus à rien, ce mot que l’on employait sur la terre si facilement ne veut plus rien dire. Nous nous taisons. Certaines gémissent, je sais que beaucoup d’entre nous souhaitent mourir ; deux heures après, nous partons mais nous sommes arrêtées sans cesse sur la route par d’interminables haltes dont la cause m’échappe.
    À cette époque, nous n’absorbons rien le matin. Bien sûr, à la cuisine, il y a des tonneaux entiers de l’espèce de breuvage noirâtre mais chaud qui nous ferait tant de bien, mais notre blockowa ne se donne pas la peine de le faire chercher. Une soif inextinguible me dévore, je me précipite pour boire l’eau

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