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Les mannequins nus

Les mannequins nus

Titel: Les mannequins nus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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compagne :
    « — Regarde, n’est-ce pas le village des crématoires ? »
    Elle me répond :
    « — Mais non, tu es folle, qu’irions-nous faire là-bas ? »
    Mais bientôt cela se confirme. Il paraît que ce soir c’est « ici » que nous prenons la douche. Elle sera meilleure, paraît-il, plus chaude, plus prolongée… hum… tout à fait entre nous, j’aurais préféré, ce soir, notre familière salle aux courants d’air, notre douche presque froide… On ne nous demande pas notre avis. Nous voilà devant la salle de douches (tout au moins, nous l’espérons…).
    La peur s’empare des femmes, surtout des Hongroises qui sont particulièrement lâches. En attendant, je bavarde avec un Français qui s’est glissé parmi nous et qui nous pose des questions sur Birkenau, sa femme y est morte il n’y a pas longtemps.
    Il a l’air encore très lucide et je ne peux m’empêcher de lui poser l’éternelle question…
    « — Croyez-vous que nous en sortirons ?… »
    Il sourit et me dit :
    « — Comment pouvez-vous demander cela… vous savez bien que c’est impossible. »
    Je le quitte en vitesse, d’ailleurs nous entrons.
    Allons, pour aujourd’hui, c’était vraiment la douche. Nous voici de nouveau en rangs, un peu plus propres, heureuses à l’idée de retrouver nos coyas après cette émotion. La souffrance de nouveau m’envahit. L’eau a mis mes pieds à vif. Se remettre en route est difficile. En arrivant au camp, nous avons l’agréable surprise d’être mises à genoux dans l’eau jusqu’à la nuit, sans manger, nous devons cela paraît-il à quelques Hongroises qui, prises de peur devant la salle de douches, ont fui et sont rentrées directement au block. Nous en subissons les conséquences. Nous voilà à genoux, les bras levés, sous la pluie qui commence à tomber. Deux heures après, la punition s’achève. Comme des folles, nous rentrons dans le block, nous écrasant contre la porte…
    Enfin, la coya ! mes compagnes y sont déjà. Line et quatre jeunes Françaises encore « presque » bien portantes et très courageuses, mais elles sont dures et cruelles, elles ne m’aiment pas, redoutent ma souffrance et ma saleté et ne peuvent comprendre mon obstination à ne pas entrer au Revier. Elles m’obligent à faire le lit. La paillasse est trop étroite pour toutes. Je dors sur les planches presque toujours sans couverture, mais ma fièvre est telle que je ne sens plus le froid. Impossible de retirer mes sabots. Désespérément je tire, mais mes pieds ne sortent pas, des bourrelets de chair se sont formés qui recouvrent le bois, je tire encore… Comment peut-on avoir si mal ? Je demande à Line de m’aider. Elle tremble de me faire souffrir, mais elle sait qu’il le faut et elle tire de toutes ses forces. Les sabots viennent et je comprends, en retirant les chiffons sales qui me servent de bas, que mes pieds ont littéralement « éclaté ». Le pus a jailli de tous côtés, sur le dessus, sur les orteils, exhalant une odeur ignoble. Effarée, je contemple cette pourriture qu’est devenu mon corps. Mes compagnes détournent les yeux, me conseillent une fois de plus d’entrer au Revier. Line est atterrée. Céder, c’est la quitter pour ne plus la revoir, mais s’obstiner, à quoi bon, d’ailleurs ma souffrance l’affaiblit.
    Je me traîne jusqu’à « l’ambulance », la doctoresse polonaise hausse les épaules en voyant mes pieds et me délivre, sans même prendre ma température (il faut au moins 39° pour être admis) un bon pour entrer au Revier le lendemain matin…
    Dernière nuit au block. Line sanglote, les autres se réjouissent d’être débarrassées de ma présence. Un grand calme m’envahit.
    Le matin est venu, je suis presque seule dans le block désert avec trois ou quatre femmes désignées aussi pour le Revier. Le kommando est parti sans moi pour la première fois. J’ai brusqué les adieux avec Line. C’était trop. J’ai regardé encore une fois son petit visage que je ne reverrai plus jamais. On va venir nous chercher tout à l’heure pour nous conduire au Revier. C’est à deux kilomètres ! Comment vais-je les parcourir ?
    Ce matin, le froid est particulièrement cruel, je grelotte car j’ai donné à Line ma chemise et ma culotte, étant donné qu’au Revier on nous dépouille de tout. J’ai sur le corps ma seule robe en loques. J’essaye de parler aux femmes qui attendent comme moi : peine perdue, il

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