Les mannequins nus
furent des scènes atroces. Ces cris de désespoir, ces appels : « Maman ! Maman ! » résonneront toujours à mes oreilles. Mais les gardes S.S. ne s’embarrassaient pas de sentiments. Ils frappaient tous ceux qui essayaient de résister, vieillards, ou enfants, et eurent vite fait de former de notre colonne deux groupes, toujours par rangs de cinq.
— Dans mon impardonnable naïveté, je crus l’officier S.S. qui nous affirma que les vieux resteraient près des enfants dont ils auraient la charge de s’occuper. J’en déduisis tout naturellement que les adultes dans la force de l’âge auraient à travailler.
— À notre tour, ma mère, mes fils et moi dûmes passer devant les « sélectionneurs ». Je commis alors ma seconde et horrible erreur. L’officier nous désigna ma mère et moi pour le groupe des adultes, le plus jeune de mes deux fils pour celui des enfants et des vieillards, et hésita une seconde devant mon fils aîné.
— Ce S.S. était un grand gaillard brun, à lunettes. Il s’efforçait visiblement de se comporter correctement. Plus tard, j’appris son nom. C’était le docteur Klein, « le grand sélectionneur » qui devait devenir en 1945 l’une des vedettes du procès des bourreaux de Belsen.
« — Ce garçon doit avoir plus de douze ans, dit-il.
« — Non, protestai-je.
« — La vérité était que mon fils n’avait pas encore douze ans. Mais il était fort et grand pour son âge. J’aurais pu mentir. Cependant, je voulais lui épargner des travaux pénibles pour son jeune âge.
« — Ça va, dit-il. À gauche ! »
— J’avais persuadé sans peine ma mère qu’elle ferait mieux de suivre les enfants pour pouvoir prendre soin d’eux. À son âge, elle pouvait prétendre au traitement des vieux.
« Ma mère voudrait rester avec les enfants », dis-je à l’officier.
Celui-ci acquiesça.
« Vous vous retrouverez tous dans le même camp », dit-il.
« — Et dans quelques semaines vous serez tous réunis, renchérit un autre en riant. Au suivant ! »
Sans m’en douter, et en voulant les sauver, je venais de condamner mon fils aîné et ma mère.
LES CHAMBRES À GAZ
— C’est (50) au printemps de 1942 qu’arrivèrent de Haute-Silésie les premiers convois des Juifs destinés à être exterminés jusqu’au dernier. On leur fit traverser les barbelés et on les conduisit à travers les champs où devaient s’élever par la suite les constructions du camp II, vers une ferme transformée en bunker. Aumeier, Palitzsch et quelques autres blockführers les accompagnaient et s’entretenaient avec eux de la façon la plus anodine ; pour ne pas éveiller leurs soupçons, ils les interrogeaient sur leurs aptitudes, sur leurs professions. Arrivés à la ferme, ils reçurent l’ordre de se déshabiller et ils entrèrent dans les pièces où ils s’attendaient à être désinfectés. Ils avaient conservé un calme parfait jusqu’au moment où certains d’entre eux, saisis de soupçons, se mirent à parler d’asphyxie et d’extermination. Une sorte de panique s’empara immédiatement du convoi. Elle fut maîtrisée rapidement : ceux qui se tenaient encore dehors furent poussés dans les chambres et l’on verrouilla les portes. À l’arrivée des convois suivants, on rechercha parmi les détenus les esprits méfiants et on ne les quitta plus des yeux. Dès qu’une inquiétude se manifestait, on s’emparait discrètement des « trublions » pour les conduire derrière la cabane où on les abattait avec des carabines de petit calibre de façon à ce que les autres n’entendissent pas les coups de feu. Par ailleurs, la présence du « kommando spécial » et l’attitude apaisante de ses membres était faite pour rassurer ceux des condamnés qui soupçonnaient déjà quelque chose. Ils se sentaient d’autant plus rassurés que plusieurs hommes du kommando spécial entraient avec eux dans les chambres et y restaient jusqu’au dernier moment, tandis qu’un S.S. se tenait également jusqu’au dernier moment sur le pas de la porte.
— Ce qui importait avant tout, c’était de maintenir un calme aussi complet que possible pendant toute l’opération de l’arrivée et du déshabillage. Surtout pas de cris, pas d’agitation ! Si certains ne voulaient pas se déshabiller, il appartenait aux autres (déjà dévêtus) ou aux hommes du kommando spécial de leur venir en aide. Avec de bonnes paroles, même les
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