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Les mannequins nus

Les mannequins nus

Titel: Les mannequins nus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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années est difficile à chiffrer, mais puisqu’il s’agissait de millions de victimes, on peut probablement l’estimer à des milliards de francs suisses. À celui auquel cela pourrait paraître exagéré, on pourrait se contenter de donner en exemple le cas de quelques camps annexes d’Auschwitz, où furent installés de complets cabinets dentaires, y compris les fraiseuses électriques, provenant de ce « butin »…
    — Mais les S.S. s’intéressaient bien davantage à ce qu’ils pouvaient utiliser immédiatement – cigarettes, parfums, fines conserves – ou bien aux choses qui pourraient procurer d’autres jouissances, c’est-à-dire l’argent et les objets précieux. Les Polonais appelèrent cette source de richesse « Canada » en souvenir des représentations légendaires liées jadis à l’émigration dans ce pays béni, et le terme était généralement utilisé pour le pillage des nouveaux venus, qu’ils soient destinés ou non à mourir.
    — Il est évident que tous les objets ainsi récupérés sans exception devaient être livrés, mais il est tout aussi évident que tous ceux qui avaient à s’occuper de près ou de loin de ces objets, S.S. comme détenus, travaillaient pour leur compte…

10

BUDY
    — Il (55) pleuvait ce jour-là. Quoique ce fût le mois de juin il faisait très froid. Le kommando se déplaçait dans un silence absolu ; de l’étang à la rive, en portant les mauvaises herbes arrachées. Personne ne regardait personne, personne ne parlait à personne. C’est seulement ainsi qu’on pouvait supporter ce travail. La veille, un chien avait déchiqueté une des détenues parce qu’elle entrait trop lentement dans l’eau. La pluie d’aujourd’hui éloigna ce danger. Le garde et la surveillante se tenaient accroupis sur la digue, cachés sous une pèlerine noire et une bâche. Malgré cela le kommando se déplaçait presque en courant. Pas besoin de pousser les femmes dans l’étang. Il faisait plus chaud dans l’eau.
    — Je travaillais de pair avec la « chanteuse ». Elle marchait devant moi et je voyais son dos, et en sortant de l’étang ses jambes. Le sang coulait sur ses jambes. Les feuilles de bardane ne pouvaient remplacer les serviettes hygiéniques. La chanteuse pleurait. Je levai la tête pour ne pas voir ses jambes et alors je voyais ses épaules. Elle sanglotait comme au temps de la prison. L’après-midi, la Kapo nous avait chassées de l’autre côté de la digue. Nous devions passer devant le garde et les surveillantes. La « chanteuse » pleurait sans cesse. Le garde et les surveillantes étaient assis sous un arbre. Le garde remarqua d’abord ses sanglots et ensuite leur cause. Il marmotta : « Schweinerei » et tourna les yeux. Mais quand nous revînmes il lui dit de rester sur le bord. La surveillante, la même qui, la veille avait lancé le chien contre une prisonnière, ne protesta pas. Et la chanteuse répétait toujours « c’est incroyable ! ». Elle disait « c’est incroyable » quand une des prisonnières s’était évadée de notre kommando et quand nous attendions toutes l’arrivée du commandant et les représailles. Elle n’avait pas peur. Elle disait aux femmes en pleurs de ne pas provoquer le sort. Elle pouvait être contente d’avoir raison. Cette fois-ci il n’y avait pas de représailles, on traite le Wasserkommando avec une certaine indulgence : on leur coupa les cheveux et on les transféra dans une compagnie disciplinaire à Budy.
    — En ce temps, le nom de Budy ne nous disait rien. C’était le nom d’un village éloigné de quelques kilomètres de la ville d’Auschwitz. Notre kommando devait commencer à créer l’histoire de Budy. En deux mois, sur 400 détenues, 243 périrent à Budy.
    — La chanteuse passa la porte d’entrée du camp de Budy avec un certain sourire. Elle ne se voyait pas. Son visage avec des restes de cheveux au-dessus du front, était marqué d’un signe d’infamie et ne rappelait en rien celui d’une gosse à qui on avait fait du mal. Un tel sourire sur un tel visage choquait. Le Kommandoführer de Budy, le jeune Unterscharführer aux délicats traits aristocratiques cessa de compter. Du bout de sa cravache il souleva très haut le menton de la chanteuse, jusqu’au moment où sur le cou maigre apparurent les veines.
    — « Ici on ne peut pas rire. C’est une compagnie disciplinaire » dit-il à voix basse. « C’est une compagnie disciplinaire »

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