Les mannequins nus
alevinage), Plawy (cultures expérimentales de blé), Rajsko (plantes à caoutchouc) installa à Budy une quinzaine de couples de porcs et choisit lui-même parmi un « arrivage » de jeunes Françaises les premières « fermières ».
— Nous allons nous consacrer à l’étude de la meilleure race possible…
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— Un matin (56) d’automne 1942, l’adjoint de Grabner, Kriminalasistent Woznitza, ainsi qu’un autre employé chargé d’instruction et deux préposés aux écritures, reçurent l’ordre d’emballer au plus vite machines et papier à écrire et de monter dans une grande voiture qui les attendait devant le bâtiment de la Kommandantur. On ne les avait pas informés de quoi il s’agissait mais, à en juger à la mine de Grabner, ce devait être sûrement un fait exceptionnel. La voiture roulait rapidement dans la direction de Budy. À quelques mètres du camp, une sentinelle leur barra le passage. En reconnaissant Grabner, le soldat s’excusa en les informant qu’il avait reçu du commandant l’ordre de ne laisser passer personne sans autorisation spéciale. La voiture se remit en marche et entra dans le camp. Grabner commanda à ses compagnons de descendre avec tous les bagages. Durant le trajet il avait déjà fait mention d’une révolte ayant éclaté à Budy (57) aussi les fonctionnaires de la section II franchissaient avec curiosité l’entrée du camp où la sentinelle s’était mise au garde-à-vous à leur vue.
— Une complainte et un bourdonnement vagues vibraient dans l’air. Tout à coup, une scène terrible apparut à leurs yeux. Il leur fallut un certain temps pour la comprendre. Sur la place, derrière et devant l’école, gisaient en désordre des dizaines de corps de femmes mutilés et ensanglantés qui n’étaient recouverts que de chemises en lambeaux. Parmi les mortes, se tordaient les mourantes. Leurs gémissements et le bourdonnement d’énormes essaims de mouches, planant au-dessus des flaques de sang gluant et des crânes brisés, se confondaient en une complainte étrange que les nouveaux arrivés n’avaient pu expliquer au début. Plusieurs cadavres étaient accrochés dans une position crispée aux barbelés de l’enceinte. D’autres avaient évidemment été projetés par les fenêtres.
— Aussitôt Grabner avait donné l’ordre de chercher parmi les femmes étendues sur le sol, celles qui seraient encore capables de supporter l’interrogatoire et de servir comme témoins de l’événement. Woznitza s’était mis à fouiller parmi les corps en cherchant vainement les victimes de ce massacre sanglant qui seraient encore en état de parler. Mais comme il ne pouvait trouver personne, on avait alors pris comme témoins quelques femmes blessées moins grièvement qui, justement, lavaient leurs blessures au puits voisin. Leurs dépositions permirent de reproduire le développement des événements.
— Les gardes S.S. affectés en permanence à la surveillance du kommando de Budy avaient pris l’habitude d’exciter les Kapos allemandes à maltraiter les Juives pendant le travail. Ils menaçaient d’ailleurs les Allemandes qu’au cas contraire, elles-mêmes seraient chassées à coups de bâton à travers la ceinture des postes de garde et, par conséquent tuées si elles tentaient de fuir. Pour ces monstres S.S., le spectacle des souffrances des Juives maltraitées constituait un passe-temps divertissant. Or, cette situation insupportable avait pour effet que les Kapos allemandes vivaient dans une angoisse constante. Elles craignaient toujours que leurs victimes torturées, dont l’existence était atroce, ne se vengent sur elles, en profitant d’une occasion favorable. Cependant les Juives qui, pour la plupart, étaient des femmes instruites et cultivées – par exemple anciennes étudiantes de la Sorbonne et artistes – ne songeaient même pas à s’abaisser au niveau de ces vulgaires prostituées allemandes en prenant sur elles une revanche pourtant méritée.
— Le soir précédant ces événements, une Juive rentrait du « chalet de nécessité » au dortoir, dans la mansarde de l’école. À ce moment, une Kapo allemande crut apercevoir une pierre dans sa main. Ce n’était, évidemment, qu’hallucination hystérique. En bas, à la porte d’entrée, une sentinelle S.S. montait la garde. Ce soldat – comme le savaient bien toutes les détenues – était l’amant de la Kapo. Celle-ci s’était mise à crier
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