Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les mannequins nus

Les mannequins nus

Titel: Les mannequins nus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
Vom Netzwerk:
constituait notre « matériel ». Il fallait donc former des tresses en ajoutant ces chiffons bout à bout. Ces tresses servaient, paraît-il, à nettoyer les bouches des canons. Chaque femme devait en tresser par jour un métrage absolument irréalisable. Des « Kapos » surveillaient le travail. La natte devait résister et ne jamais se rompre. Pour éprouver sa solidité, le Kapo mettait une extrémité de la natte sous son pied et tirait de toutes ses forces ; gare à l’ouvrière dont la tresse se rompait. C’était presque obligatoire étant donné que la natte n’était faite que de petits bouts rapportés. Nous avions des espèces d’établis avec des clous pour accrocher la tresse ; en principe, nous avions le droit de nous asseoir sur des bancs de bois, à moins d’être punie… dans ce cas il fallait rester debout, c’est-à-dire penchée presque en angle droit pour arriver à tresser et ce, pendant treize heures minimum. Des « surveillantes » dirigeaient le travail. Elles distribuaient le matériel avec une injustice incroyable, en réservant aux Polonaises les morceaux qui pouvaient se travailler.
    Les Françaises n’avaient que des morceaux inutilisables. Des bérets pleins de poux. Ces chiffons toujours souillés dégageaient une poussière si intense qu’elle obscurcissait la pièce, envahissait nos vêtements, nous faisait tousser.
    Il y avait deux grands kommandos à Birkenau, en dehors des kommandos privilégiés : la Weberei et « Haus Kommando » (kommando du dehors) dont je n’ai fait partie que quinze jours. Ce dernier comprenait : les routes, les tranchées, la pelle, la pioche. Il était rendu mortel l’hiver par le froid, l’été par le soleil brûlant. Il exigeait quatorze heures de présence dehors. Physiquement, c’était presque impossible puisqu’il fallait bêcher, creuser sans arrêt, harcelées par les chiens des S.S., ces chiens qui, au moindre signe de leur terrible maître étranglaient les femmes. Toutes les déportées souhaitaient être affectées à la Weberei, mais elles s’apercevaient vite que, contrairement aux apparences, c’était peut-être encore plus terrible.
    Évidemment, on était à l’abri, bien que l’immobilité dans ces baraques non chauffées soit atroce ; la pluie nous était épargnée mais sous le prétexte que nous n’étions pas dehors, on ne distribuait pas de chaussures et les rations étaient infimes…
    La Weberei… pour tracer un tableau qui soit vivant il faudrait des images… il est des cas où seules les images peuvent faire vivre les mots, quand ceux-ci sont trop faibles, impuissants… Je ferme les yeux aujourd’hui et je me souviens ; mais pour me souvenir mieux, ne faudrait-il pas que j’aie faim, que j’aie froid, que j’aie peur ; et l’être d’aujourd’hui, celle que je suis devenue, satisfaite, repue, au moins matériellement, saura-t-elle assez bien se rappeler… j’essaierai…
    Quand, après les huit kilomètres de route, nous débouchions devant l’espèce de marécage sur lequel étaient construites les baraques de travail, la vision était curieuse : ces constructions en bois semblaient reposer sur pilotis. Le sol ne séchant jamais, il se formait des immenses lacs d’eau et de boue très accidentés, il fallait les traverser à une très grande vitesse en respectant notre rang. Malheur à celle qui s’écartait pour éviter un sillon trop profond. Il fallait même très souvent courir, dans ce bourbier. Nous nous précipitions à nos places et commencions immédiatement le travail. Hélas, nos doigts gelés et paralysés nous refusaient souvent leur service et il fallait attendre, se frotter les mains en se cachant et avoir l’air de travailler pour éviter le terrible gourdin des Kapos. Chacune de nous se désespérait de ces minutes perdues, car le soir viendrait et le métrage, cet effrayant métrage ne serait pas fait… or le contrôle était là et le numéro de la « paresseuse » était inscrit sur une liste noire. Tous les matins, avant de commencer le travail, « l’ober kapo » faisait un appel de ces numéros et les femmes désignées disparaissaient mystérieusement, on ne les revoyait jamais. Ce qui était terrible pour les nerfs, c’est que l’on ne savait jamais à quoi s’en tenir et on n’était jamais sûre que son propre numéro ne serait pas appelé même si l’on avait fini son métrage. Cette terreur d’être parmi les numéros appelés

Weitere Kostenlose Bücher