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Les mannequins nus

Les mannequins nus

Titel: Les mannequins nus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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L’infirmière, cette fois, nous traite de tous les noms dans le langage choisi qui est le leur :
    « — Vous êtes des idiotes, des choléras, des peureuses. Puisque personne ne se désigne je passerai moi-même dans les rangs… »
    Et la voilà qui commence son inspection. Vite je me pince les joues pour les rougir. Je lisse mes courtes boucles d’un centimètre toujours emmêlées. Mais mes doigts percés, enflés, suppurants, comment les cacher ? Je travaille avec acharnement penchée sur ma tresse. J’ai l’air calme et dégagée et elle passe… sans me remarquer. Quel bonheur !… Line aussi a échappé au danger.
    Le soir dans la coya, nous contons nos aventures à voix basse.
    « — Tu sais, je crois que plusieurs blocks vont être désignés pour le « Schwartz Arbeit » ; on choisira les moins bonnes travailleuses ; c’est assez pénible. Il faut tresser des tissus goudronnés. Les femmes deviennent noires des pieds à la tête. Ça ne part pas à l’eau. Ça pénètre dans les écorchures. De plus, le métrage à rendre est impossible. Enfin, attendons, nous verrons bien ! »
    Bien entendu, ce furent presque toutes les Françaises qui furent désignées pour le « Schwartz Arbeit », cela nous permit à Line et à moi d’être réunies dans la journée.
    Nous étions arrivées à travailler côte à côte et, pendant que nos mains tressaient le « Schwartz », Line me parlait. Nous avions habité le même quartier et avions été élevées au même cours. Que de points communs !… et elle me disait :
    « — Vois-tu, même infirme, même malade pour le reste de mes jours, j’aimerais rentrer. Que de joies j’aurais encore : les livres, la nourriture, la T.S.F… que c’était bon ! Mais je crois que nous ne rentrerons pas. »
    Notre pensée ne quittait pas Denise qui devait être si malheureuse loin de nous. J’étais presque toujours arrivée jusque-là à avoir de ses nouvelles, elle était toujours au block de repos. Un jour, au retour de kommando, quand nous défilions sur la « Lager Strasse », nous étions passées devant son block. Malgré le danger que cela comportait et mon peu de courage habituel dans ces sortes d’exploit, je n’avais pu résister au désir de la voir, de lui parler et je m’étais faufilée dans les rangs, laissant mon kommando s’éloigner sans moi, me promettant de rejoindre mon block avant l’appel (être absente pour l’appel équivalait à une mort certaine). Comme j’ai eu raison puisque je ne devais plus jamais la revoir, cela a été notre dernière entrevue, notre dernier adieu. Trop court. Mon imprudence la terrifiait et elle me renvoya très vite. Le soir commençait à nous imprégner. Dans les petits morceaux de glace cassée que nous ramassions, nous contemplions avec stupeur ce visage qui était le nôtre, crispé, plein de traînées sombres, les yeux hagards.
    L’atmosphère de la Weberei devenait chaque jour plus orageuse, le contrôle plus sévère et notre tension nerveuse augmentait. Aujourd’hui, c’est le chef de la Weberei lui-même qui vient visiter notre baraque. C’est un simple soldat S.S. ; le type même du nazi, si caractéristique, un visage blême, des yeux clairs. Son chien loup ne le quitte pas. Il fait signe à l’ober kapo qu’il veut parler et il s’adresse à nous sur un ton modéré qui contraste étrangement avec les hurlements gutturaux qui lui sont familiers. Je vois les femmes prendre une expression stupéfaite. Que dit-il encore ? J’ai hâte, je veux savoir. Ah ! ne rien comprendre à cette langue maudite… Je veux qu’on me traduise. Mes compagnes m’enjoignent brutalement de me taire. Enfin, j’arrive à savoir. C’est très simple, mais grotesque ; s’imagine-t-il que nous allons le croire ?
    « — Les femmes qui auront fait pendant les deux jours qui vont suivre le métrage maximum seront autorisées à voir celle de leur parente, mère, fille, sœur, qui serait dans un endroit quelconque du camp et dont elles auraient été séparées. Des recherches seraient entreprises et même, il est très probable, qu’on autoriserait la réunion, dans le même kommando, des personnes de la même famille. »
    Le grand commandant du camp pousserait même la magnanimité envers ses « pensionnaires » jusqu’à donner l’autorisation aux femmes mariées, arrivées avec leur mari, de les faire rechercher pour leur rendre visite. Par contre, les mauvaises

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