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Les mannequins nus

Les mannequins nus

Titel: Les mannequins nus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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davantage aux détenus qui étaient un peu mieux vêtus que les autres. Un petit bonhomme s’approcha de moi, un Allemand de Yougoslavie qui parlait à peine l’allemand et à qui je répondis que je connaissais bien son pays d’où une partie de ma famille était originaire. Enchanté, il fit remarquer qu’étant compatriote je devais lui remettre ma montre. À mon tour je demandais :
    « — Ma montre ? Et pourquoi donc ? Elle me sera rendue à ma libération ? »
    À son tour de hocher la tête et de répondre avec dédain :
    « — À ta libération ? Mais tu n’en sortiras jamais vivante. Ils te déshabillent complètement et ils te prennent tout ce qui t’appartient ; toutes ces choses tu ne les reverras plus jamais. Chaque jour cinq à six camions pleins de cadavres féminins quittent le camp où l’on ne vit que quelques mois. Comme de toute façon, tu dois tout perdre, donne donc ta montre à un compatriote. »
    *
*   *
    Ella Lingens, dès le troisième jour de sa détention, sera affectée comme médecin au Revier de Birkenau.
    — Est-il possible de tracer la vision qu’offrait, durant l’hiver 1943-1944, mon block 9 désigné comme le block des malades légers ? Des couchettes triples superposées étaient alignées le long des murs et des groupes de couchettes accouplées étaient placées perpendiculairement de sorte qu’un passage d’un mètre seulement permettait d’accéder aux couchettes du fond. Il était pratiquement impossible de voir les malades du fond, et, si elles étaient trop faibles pour venir jusqu’au bord du poêle, on était réduit à leur prendre le pouls dans le noir et à leur faire une injection cardiotonique, à condition d’avoir le médicament. De temps en temps, les infirmières les sortaient pour vérifier si elles vivaient encore et voir ce que l’on pouvait faire pour elles. Aux moments les plus critiques, jusqu’à sept cents femmes occupaient les quelques deux cents lits du block 9 à raison de quatre dans les couchettes inférieures et trois dans les autres. Il pouvait arriver que sous le poids, les couchettes s’effondrent avec leurs matelas et occupantes, sur les malades graves du dessous. Des femmes russes avaient été autorisées à garder leurs petits enfants avec elles. Alors que les mères déliraient, les enfants leur faussaient compagnie ou bien encore une fille de seize ans, un peu faible d’esprit, les portait dans ses bras, tournant autour du poêle et chantant comme une Ophélie. Ma crainte permanente était qu’elle risquait, à tout instant, de laisser tomber un de ces enfants. Nous n’arrivions pas à nous décider d’enfermer cette fille avec les folles, dans un réduit sans fenêtre dans lequel se trouvaient trois couchettes triples…
    — Une collègue juive avait pris l’habitude, quand on procédait à des sélections, de conduire le médecin du camp auprès des malades pour lesquelles il n’y avait plus d’espoir. Elle estimait que cela n’avait pas de sens d’essayer de sauver les plus malades car le médecin S.S. choisissait alors pour les gaz des personnes plus valides qui auraient pu survivre. Les autres mouraient de toute façon, et en essayant de les sauver, on risquait de doubler le nombre des morts. Ce qu’elle disait était irréfutable et cependant, après la guerre, elle a été poursuivie pour faits de collaboration. Quelle époque qui plaçait les médecins devant de tels problèmes !
    Devant le problème, notamment de décider à qui il fallait donner les rares médicaments dont on disposait. À la mère, d’une quarantaine d’années qui avait encore des enfants à la maison ou plutôt à la jeune fille qui avait toute la vie devant elle ? Le médicament n’aurait peut-être plus d’effet sur la femme plus âgée alors que l’état de la jeune femme risquait d’empirer si le médicament lui était refusé. Ou inversement, celle-ci pouvait s’en tirer grâce à son cœur solide alors que la plus âgée pouvait être sauvée par le médicament. Pouvait-on parler d’euthanasie si je n’administrais aucun médicament à ces folles, dans leur coin, lorsque la fièvre pourprée les atteignait ? Trois seulement allaient survivre des seize folles du réduit qui ne disposait que de neuf paillasses pour s’étendre…
    — Par un de ces jours irréels, j’étais là, tout abasourdie, lorsque des coups violents frappés contre la porte de notre block des malades m’ont fait

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