Les mannequins nus
déportés se débrouillent.
Ils se débrouillent. Prenons l’exemple d’Auschwitz III Buna. Le « doyen » du Revier fait installer de sa propre autorité une chambre de désinfection entièrement montée avec du matériel volé sur le territoire de l’usine. Pendant l’hiver, la chambre de désinfection s’avère insuffisante. Les infirmiers ont repéré dans une cour de l’usine une immense chaudière à vapeur équipée de roues.
— Si nous pouvions… tout le monde en profiterait… On pourrait installer le chauffage central.
Le S.S. Mann Neubert, qui garde ce jour-là la porte du camp, accepte de fermer les yeux.
— Je crois que vous avez raison, cette chaudière sera mieux utilisée au Revier. Moi je n’ai rien vu.
Les infirmiers poussent, tirent. Mann Neubert referme la porte.
— On comptait (95) sur le fait, qu’au moment où la « chaudière mobile » se trouverait sur le territoire du camp, les autorités S.S., satisfaites de l’augmentation gratuite de leur avoir, accepteraient le fait accompli. Effectivement, toutes les interventions des propriétaires de la chaudière sont restées par la suite sans résultat. Elle est restée au camp et a servi à l’hôpital jusqu’à la fin. La majorité des efforts et des travaux entrepris plus tard reposait également sur le consentement tacite des autorités du camp, qui ne pouvaient pas ne pas s’apercevoir des changements dans les baraquements de l’hôpital, nettement agrandis et améliorés. Tous les matériaux nécessaires à ces fins étaient simplement prélevés sur le terrain de construction de l’usine et passés en fraude. Il faut souligner ici un paradoxe de la vie du camp. Pour un rutabaga ou quelques pommes de terre dissimulés, un détenu rentrant du travail au camp était soumis à des peines très sévères ; bien entendu un déporté qui aurait été pris au cours d’un fouille à introduire de la peinture au camp et des fournitures électriques aurait été puni de la même manière. En revanche, personne ne s’inquiétait d’où venait, par exemple, la peinture pour restaurer un block d’habitation de l’hôpital, d’où venaient les lavabos en porcelaine et cuvettes à la turque, installés à l’hôpital et passés en fraude au camp. Le développement de l’hôpital passait au compte des autorités S.S. qui, par la suite, pouvaient s’en prévaloir et compter toutes ces « acquisitions » comme leur propriété sans avoir eu à en supporter les frais.
— Le principal instigateur du développement ultérieur et de l’amélioration de l’hôpital était « l’aîné de l’hôpital », le Dr Stefan Budiaszek. Il avait réussi, dans une large mesure, à se rendre indépendant pour son activité, des autorités S.S., surtout en s’étant gagné – à n’en pas douter, sans certains « cadeaux » – le sous-officier sanitaire S.S. Neubert. En été 1943, à l’hôpital, il a été « organisé » une cuisine où l’on faisait du café ; cela avait sensiblement diminué les ennuis et les difficultés liées au transport, deux fois par jour, d’une grande quantité de café de la lointaine cuisine centrale du camp…
— Les locaux de l’hôpital étaient de simples baraquements sans tout-à-l’égout ; les lavabos, bains et latrines, se trouvaient au camp dans des bâtiments séparés. Ce qui était relativement supportable pour les détenus bien portants devenait un véritable supplice pour les malades. De grands récipients pour les urines et les matières fécales, placés dans les baraquements et transportés dans les cabinets communs, rendaient encore pires les conditions, déjà peu merveilleuses, du séjour à l’hôpital. Les travaux entrepris alors, en vue de canaliser les baraquements, constituaient donc un immense pas en avant (96) … En automne 1943, sur l’initiative personnelle de Budiaszek, on a construit en plus une salle opératoire spéciale (jusqu’ici les opérations « propres » étaient exécutées dans une petite pièce du block 18 du dispensaire). Cette salle, vu les conditions du camp, était le comble du modernisme. Elle avait un plancher lisse bétonné, qu’on lavait à l’eau (le plancher avait été verni, par l’effort commun, à tour de rôle, de tous les travailleurs de l’hôpital), les murs étaient peints à l’huile, il y avait une pièce préparatoire, séparée, de l’eau courante dans les lavabos, et une lampe antiombre,
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