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Les mannequins nus

Les mannequins nus

Titel: Les mannequins nus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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fusillé pendant l’évacuation du camp de Buna. Malgré l’ordre formel des gardes, il s’était penché sur un interné incapable de poursuivre la marche pour lui donner une piqûre de stimulant. Un S.S. les abattit tous les deux.
    *
*   *
    Être médecin à Auschwitz. Vingt-cinq ans après, Myriam David répond :
    Le lendemain (99) de l’arrivée au camp, dans le block où se trouvaient en quarantaine les deux cents rescapés du convoi des deux mille Juifs français partis de Drancy le 13 avril 1944, la porte du block s’ouvrit livrant passage à un personnage qui hurla quelque chose. Un camarade nous traduisit :
    « — On demande s’il y a des médecins. »
    C’est donc dès l’entrée dans le camp que se posait pour moi le fait d’être médecin. Était-il utile d’être médecin dans le camp ? Était-ce viable ? mensonger ? un moyen personnel de mieux se tirer d’affaire ?
    Aucune de ces questions ne me vint à l’esprit à ce moment-là, complètement abrutie que j’étais par quelques mois d’incarcération et de mauvais traitements, par les quatre jours et nuits de voyage, et la procédure harassante de l’entrée au camp. Je me souviens que je n’eus aucune envie de me désigner, ce fut de ma part une réaction instinctive. Je crois que deux sentiments me poussaient à force égale : le besoin de rester avec ceux qui m’étaient chers, ma sœur, mes compagnes de combat, et aussi le groupe avec qui j’avais fait ce grand voyage ; une peur de me retrouver seule, isolée dans ce monde qui, à la nouvelle venue que j’étais, offrait une vision de descente aux enfers.
    Est-ce ce soir-là, est-ce quelques jours après ? Toute la nuit les camions circulèrent, tandis que tous les blocks étaient strictement consignés. Interdiction absolue de sortir. Les anciennes pleuraient, priaient, murmuraient, la « blockaltester » (chef de block) nous suppliait de nous taire. Nous étions oppressées sans tout à fait comprendre la portée de ce qui se passait. Dans cette ambiance étouffante d’angoisse, une femme de quarante ans fit une crise d’œdème aigu du poumon.
    Une amie qui me savait médecin vint me chercher, mais que pouvais-je ? Nous ne disposions de rien, nous nouveaux venus, que la culotte, la blouse sans manches, la jupe trouée et les souliers dépareillés. Pas de gamelle, pas de cuillère, à fortiori pas de couteau. Une ancienne toutefois apporta un canif. On étendit la femme par terre, elle râlait, n’en pouvait plus. Je tentais à la lueur d’une veilleuse une saignée. C’est alors que tout à coup la porte s’ouvrit laissant entrevoir une femme nue affolée, la blockaltester la repoussa violemment. C’était une des centaines de femmes du « Revier » désignées ce soir-là pour être gazées, soirée de sélection au « Revier ». C’est à ce moment que nous apprîmes aussi que tous ceux qui étaient dans le train et qui n’étaient pas au block avec nous, avaient été gazés à l’arrivée, l’avant-veille et que, en ce moment même, avait lieu une autre de ces terribles sélections. Quelqu’un s’indigna de la conduite inhumaine de la blockaltester, mais celle-ci la fit taire en la rossant. Ensuite, on apprit qu’à une sélection précédente, un block où s’était réfugiée une autre malheureuse avait été entièrement gazé. Est-ce le choc, est-ce la tentative de saignée, ma malade commença à mieux respirer, et à l’aube s’endormit.
    Dans les mois qui suivirent, tant que je travaillais dans un des kommandos de terrassement, il me souvient maintenant que mes compagnes m’interrogeaient anxieusement sur leurs symptômes dont certains les angoissaient plus intensément que d’autres : l’anorexie soudaine et totale, les diarrhées… les anciennes malades tuberculeuses et cardiaques avaient besoin de parler au médecin que j’étais de leur maladie et exprimaient leur angoisse du risque de rechute, si mince finalement au regard des autres risques, mais qui les habitait, elles plus spécialement. Que pouvais-je comme médecin ? Rien, sinon écouter cette plainte et cette angoisse. Certes, je n’avais pas conscience à ce moment-là de jouer un rôle en tant que médecin, mais je crois me souvenir que cette plainte, cette angoisse, s’adressaient plus souvent à moi qu’à mes autres compagnes, bien que j’ai été à l’époque toute nouvellement et hâtivement diplômée. C’était un rôle auquel je me prêtais

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