Les mannequins nus
race. Souvent c’était un prêtre catholique qui devait diriger ce chœur. Les prisonniers qui ne comprenaient pas l’allemand ne pouvaient retenir les paroles de ces chansons, et les Kapos, mécontents, les rouaient de coups et les leur faisaient chanter accroupis ou allongés, le visage contre terre. Ils les rouaient de coups et les piétinaient.
— La leçon de chant se poursuivait jusqu’à 15 heures et tout de suite après commençait la « gymnastique » qui durait jusqu’à 18 h 30. La « gymnastique » était suivie de l’appel du soir qui durait deux heures. Il arrivait que des groupes de prisonniers dussent, « en punition », rester au garde-à-vous sur la place d’appel, les bras sur la nuque, de 9 heures du soir au lendemain midi. Ils étaient éclairés la nuit par des projecteurs. Les S.S., qui se relevaient régulièrement, contrôlaient scrupuleusement si les prisonniers ne baissaient pas les bras, et quand cela arrivait aux plus faibles, ceux-ci étaient battus et torturés sans pitié. Sur un groupe de 265 prisonniers, une soixantaine à peine pouvaient supporter ce genre d’appel. Ceux qui tombaient d’épuisement étaient ranimés à coups de bâton et arrosés d’eau.
— De retour au block, on n’était autorisé à aller aux latrines que lorsque les rations de vivres avaient été distribuées. Des milliers d’hommes s’y pressaient à la fois, et là encore ils étaient battus. Dans ces conditions, la quarantaine n’était qu’une succession de souffrances cruelles. Les malheureux ne savaient que faire, ni où se cacher pour se soustraire à ces tourments continuels. Tous rêvaient d’être transférés au camp de travail, espérant qu’ils pourraient mieux le supporter. Ils ignoraient toutefois que les mêmes supplices les y attendaient.
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Camp monotone, avec ses vivants et ses morts. Un camp oublié. Un camp « pour Polonais ». Cependant, au mois de novembre 1940, Hoess est convoqué à Berlin par le Reichsführer Himmler.
— Nous allons faire de grandes choses… Votre capacité d’accueil doit passer de 10 000 à 30 000. Nous allons installer des complexes industriels… La S.S. a un rôle de pointe à jouer dans les fabrications d’armement…
Hoess est abasourdi. Des milliers de questions l’envahissent. Il n’en pose aucune, claque des talons et se replonge dans ses problèmes de bâtisseur : sacs de ciment, barbelés, canalisations, planches, tuiles, four crématoire, prison… Le 31 décembre, il tient à accueillir en personne son 7 879 e détenu. Il lui remet un colis de « friandises ».
— C’est peut-être un peu tard… Vous avez dû passer Noël en prison. Ici… grand air… nature… bonne camaraderie.
Le 1 er mars 1941, Heinrich Himmler visite pour la première fois Auschwitz. Il est accompagné du Gauleiter Bracht, du chef de la S.S. et de la police de Silésie Schmauser, de l’inspecteur des camps de concentration Glücks et d’un détachement important d’ingénieurs civils de la société I.G. Farben.
— Avant (11) la guerre, les camps de concentration n’avaient servi qu’à assurer la sécurité de l’État. Mais, dès le début des hostilités, le Reichsführer leur avait assigné un rôle tout différent. L’internement n’était plus qu’un moyen pour obtenir la main-d’œuvre nécessaire. Chaque prisonnier devait servir les besoins de la guerre, se transformer, dans toute la mesure du possible, en ouvrier de l’armement et chaque commandant devait exploiter son camp dans ce but unique (12) .
— Selon la volonté du Reichsführer, Auschwitz était destiné à devenir une immense centrale de matériel de guerre actionnée par les déportés. Les indications qu’il nous donna lors de sa visite de mars 1941 étaient suffisamment précises. Il ne s’agissait plus d’élargir l’ancien camp pour y recevoir trente mille internés : il fallait encore installer un camp pour cent mille prisonniers de guerre et tenir dix mille internés à la disposition de l’entreprise chimique « Buna » (13) . C’étaient là des chiffres tout nouveaux dans l’histoire des camps de concentration car, à l’époque, un camp comprenant dix mille prisonniers représentait déjà quelque chose d’inhabituel… J’étais appelé à faire surgir du néant, dans les délais les plus brefs, quelque chose d’immense, de colossal.
Ce quelque chose « d’immense, de colossal » Hoess
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