Les murailles de feu
qu’ils avaient besoin d’aide pour y être hissés.
Brusquement ce mur de cadavres s’effondra et les Alliés détalèrent vers l’arrière devant l’avalanche qui prenait de l’élan du fait de son propre poids. Les Perses aussi décampèrent devant cette masse de cadavres qui roulaient sur la route de Trachis. Le spectacle était tellement extravagant que les soldats grecs s’arrêtèrent de leur propre chef, suspendant ainsi leur offensive et observèrent avec stupéfaction l’ennemi succomber en grand nombre, englouti par cette marée macabre.
Ce prodige fut évoqué à la veillée des Alliés, comme preuve de l’intervention divine. Tyrrhastiade, près de Léonidas, exhorta alors les Grecs à se retirer, avec une éloquence passionnée, sans nul doute inspirée par sa générosité. Il répéta que les dix mille Immortels étaient présentement en route sur le chemin de montagne, afin d’encercler les Alliés. Il ne restait qu’un millier de Grecs vaillants. Comment pouvaient-ils espérer résister à des gens dix fois plus nombreux et qui les attaqueraient par l’arrière, sans défense ?
Mais, grisés par le prodige auquel ils venaient d’assister, les Alliés n’en voulurent pas entendre parler. Des sceptiques et des incroyants, qui avaient jusqu’alors fait profession de douter des dieux et même de les mépriser, firent des serments tonitruants pour affirmer que l’éclair et le tonnerre n’étaient autres que la manifestation de Zeus lui-même.
Puis des nouvelles encourageantes vinrent de la flotte. Une tempête avait naufragé deux cents navires ennemis sur la côte lointaine de l’Eubée. Un cinquième de la marine de Sa Majesté, rapporta avec exubérance le capitaine athénien Habronique, messager de la flotte, qui en avait été témoin, avait péri corps et biens. N’était-ce pas là aussi l’œuvre des dieux ?
Léontiade, le commandant thébain, prit la parole et attisa cette folie. Quelle force humaine, demanda-t-il, pouvait résister à la rage céleste ? Enflammés par ces propos, les Grecs invectivèrent Tyrrhastiade de Kyme, assurant que ce n’étaient pas eux qui étaient en danger, mais Xerxès, dont l’arrogance avait suscité le courroux de Zeus tout-puissant. Ce prince supporta ces injures en silence, le visage assombri par le chagrin. Léonidas mit fin à la réunion sur les instructions suivantes : que chaque contingent apportât tous ses soins à la réparation des armes. Puis il renvoya Habronique à la flotte en le priant d’informer les commandants Eurybiade et Thémistocle des événements auxquels il avait assisté. Les alliés se dispersèrent, ne laissant que les Spartiates et Tyrrhastiade près du feu.
— C’était une impressionnante manifestation de foi, seigneur, dit ce prince après un moment. Cette ferveur ne peut manquer de soutenir le courage de tes hommes. Mais pour une heure seulement. Jusqu’à ce que l’obscurité et la fatigue dissipent les passions passagères et que la peur pour eux-mêmes et leurs familles reprenne possession de leur cœur, comme c’est inévitable.
Il répéta avec insistance ses avertissements sur le sentier de montagne et l’arrivée des Dix Mille. Si la main des dieux avait quelque chose à faire dans les événements de la journée, elle n’était pas guidée par la bienveillance à l’égard des défenseurs helléniques, mais par la volonté perverse de bâillonner leur raison. Car un commandant aussi sagace que Léonidas ne pouvait manquer, s’il levait les yeux sur le Kallidromos, de reconnaître les cicatrices laissées sur ses flancs par les éclairs des décennies et des siècles précédents.
— Tu peux dire, poursuivit le Perse, que je suis un agent séditieux, que j’ai été envoyé par Xerxès, que je sers ses intérêts, que je tente de vous persuader par la ruse et le mensonge de quitter le défilé. Crois-le si tu veux. Mais ce que je dis est vrai. Les Immortels arrivent. Ils seront dix mille au matin sur tes arrières.
Le prince s’adressa au roi avec chaleur :
— La bataille aux Murailles de Feu n’est pas celle qui sera décisive, seigneur. Celle-là aura lieu plus tard et au cœur de la Grèce, peut-être devant les murs d’Athènes, peut-être sur l’isthme ou dans le Péloponnèse, sous les montagnes de Sparte elle-même. Tu le sais. N’importe quel commandant qui sait déchiffrer la nature du terrain le sait aussi. Ta nation a besoin de toi. Tu es l’âme de son
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