Les noces de fer
dire ? Que malgré ses défauts énormes, il avait pour sa cousine une sorte de religion maussade, une indulgence souvent âpre et qui se dissolvait souvent dans des fureurs méritées. Elle était belle, harmonieuse et désirable. Pour d’autres que lui.
— Je ne l’aime pas… Je crois même que je la déteste…
— Tu crois seulement ?
C’était bien de la jalousie ; une ombre, un soupçon de jalousie. Elle touchait et décevait Ogier car elle signifiait un grand amour et un goût de possession en désaccord avec cette suavité, cette bénignité, cette beauté même qui composaient le charme essentiel de Blandine.
« Va-t-elle imaginer que j’ai aimé Tancrède ? » Il soupira. « Vais-je lui reprocher d’avoir vu des hommes tourner autour d’elle ? L’amour que Rochechouart lui vouait sautait aux yeux. Je n’en suis pas contristé pour autant !… Quelle qu’ait pu être la passion de ce chevalier pour elle, je ne me sens nullement enclin à prendre maintenant une mine déconfite ! »
Il se détourna, agacé :
— Tiens, voilà nos compagnons…
Joubert précédait les hommes d’armes. Derrière, les anciens otages de Droon de la Croixille montaient des chevaux teutoniques échappés au bourbier. Le pennoncier s’approcha et invita Ogier à se pencher pour qu’il s’exprimât à voix basse :
— Nus qu’ils étaient… Ils avaient eu nos bourses ? Les sangsues ont eu les leurs et leur boudiné !… Puis, Bazire et Lehubie les ont occis… Faudra s’arrêter quelque part pour vêtir ces trois hommes… Quant aux malandrins, on ne leur a pris que leurs arbalètes et le haubergeon de l’archer… On le tirera au sort…
Yves chevauchait le destrier de Prenzlau, Ybert celui de Cottbus et Bernier un rouan cavecé de noir, paisible, et qui préférait ce nouveau venu sur son dos à l’homme qui l’avait monté jusque-là.
— Vous avez bien fait, dit Yves à haute voix, d’en finir avec ces malfaisants. Chacun d’eux avait au moins vingt morts sur la conscience !
Repris soudain par sa colère et sa déception, et bien qu’il vît, maintenant devant lui, les roncins des deux chevaliers détestés, Ogier s’enquit :
— Quand vous pataugiez dans la fange, avez-vous vu passer une brousse [146] de guerriers ?
— Ah ! oui, messire, dit Yves. Ils se sont ri de notre géhenne. Ils se sont ri aussi du Robert et de nos gardiens qui leur demandaient humblement le péage… Mais quand ils ont été loin, c’est surtout le Robert et le Grégoire qui se sont moult ébaudis, car ils les avaient envoyés en un lieu où l’on s’embourbe à jamais… sauf certains chevaux qui, paraît-il, flairent un petit passage… Tous d’ailleurs, je crois, sont revenus. Eux, ils ont disparu, leur charroi certainement aussi…
Ogier songea : « C’est la volonté divine », sans pourtant être assuré du bien-fondé de cette résignation-là.
— D’où êtes-vous ? demanda Delaunay.
— Moi, dit Yves, du hameau de la Croixille. Mais j’y reviendrai jamais plus à cause de la fureur de messire Droon.
— Nous sommes de Fougères, dit Bernier. Ybert est mon puîné…
— Mariés ?
— Aucun de nous ne l’est, dit Ybert.
— Sais-tu, Yves, où ta sœur s’est enfuie ? Ne crains-tu pas, ajouta Delaunay, que vos parents aient à subir l’ire du baron quand il apprendra votre fuite et le trépas de ses malandrins ?
Yves rit pour la première fois depuis longtemps :
— Je vivais seul avec elle. Je suis tonnelier… Anceline a dû courir à Princé, à plus d’une lieue… Elle connaît les chemins… Son fiancé est charron, là-bas… Je vous quitterai à la fourche d’une voie qui me mènera jusqu’à eux…
Blandine sortit de sa songerie :
— Ne craignez-vous pas que le sire de la Croixille vous recherche ?
— Dame, cette malaventure m’aura servi de pousse-au-cul ! Un mien parent, voilà un an, s’en est allé à Narbonne… Il est tonnelier comme moi… Je vais aller le rejoindre…
Pour ce gars-là, tout semblait simple. Ogier s’avisa des deux autres :
— Et vous, que faites-vous à Fougères ?
— Je suis drapier, dit Bernier. Ybert est tailleur… Nous allions visiter des tisserands de Laval [147] quand les veautres du sire de la Croixille nous ont poussés vers les marais et les marauds que vous avez châtiés… C’est ainsi que nous fumes menés au châtelet, puis mis en geôle…
— La forêt devient moins
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