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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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entrailles.
    — Alors, dis-moi à quoi tu pensais !
    — Tu rougirais si je te l’avouais.
    Elle comprit ; ses joues s’empourprèrent. Elle lutta contre son trouble, contre les images, les sensations qu’il lui donnait, soudaines, inattendues, partant plus aiguës. Il se dit qu’elle était simple, accommodante, et que plus encore qu’au lit, elle lui avait fourni la preuve de sa passion pour lui en acceptant un mariage hâtif suivi d’une espèce d’exil.
    Elle s’endormit ou feignit de s’endormir sur son épaule. Il regarda le chemin entre les oreilles du limonier dont la tête oscillait en cadence, comme s’il écoutait des musiques ou des chants joyeux. À l’inverse du cheval, il gardait, malgré les secousses des roues, une immobilité de plomb. L’aventure qui lui était advenue avait bouleversé sa vision des choses. Il avait fait visage [149] aux Teutoniques, certes, mais ils l’avaient dépouillé du dépôt le plus précieux qu’un homme eût jamais pu recevoir. Sa défaite surnageait au-dessus des satisfactions qu’il avait éprouvées à vaincre les malandrins aux sangsues.
    Ses compagnons restaient cois. Tous ressassaient les événements et les sensations d’angoisse et de fureur qu’ils avaient éprouvées. Après avoir erré sur les bords du chemin, leurs regards devaient s’envoler au-delà des feuilles. Parfois des gerbes sales jaillies des nids-de-poule écrasés par les jantes de la charrette leur remémoraient l’eau grise des étangs.
    — Ces méchantes gens ! commença soudain Gardic. Il faudrait…
    Il se tut, regardant devant lui cette nature inconnue, fruste, humide, et cette voie boueuse, étroite, bordée de loin en loin de roncières derrière lesquelles d’autres malandrins pouvaient apparaître.
    — On a gagné, dit Delaunay, mais j’avoue que ce pays me dévore l’espérance. Il est temps que nous vivions des jours heureux.
    — Tu l’as dit ! approuva Joubert.
    Tous aspiraient au bonheur. Un bonheur qui, pour chacun d’eux, prenait un aspect différent de celui des autres.
    « Et moi ? » se demanda Ogier. « Quelle sera la forme du mien ? »
    Le bonheur dépendrait essentiellement de Blandine. De ses émois, de ses élans, de ses consentements, de ses extases. Devrait-il la vaincre au lieu que de l’apprivoiser pour qu’elle s’abandonnât ? Elle semblait d’une jalousie maladive. À cela, il ne connaissait aucun remède.
    Et c’était bien ce qui le tourmentait.

XI
    Ils atteignirent Fougères à la nuit noire. Les portes en étaient closes et le guet nombreux aux créneaux des courtines. Bernier hurla qu’on ouvrît. Observé à un guichet par un homme d’armes qui s’étonna de les voir, son frère et lui, sales, barbus, vêtus comme des mendiants, il dut se courroucer pour que les vantaux s’entrouvrissent.
    — C’est bien nous, Garnelin !… Ybert et Bernier Birot !
    — On vous a cherchés partout à une lieue à la ronde… et même plus !… Que vous est-il advenu, messires ?
    — Nous te conterons cela demain… Qu’on ouvre les huis en grand !… Nous sommes las, nos amis, mon frère et moi !
    Les grands panneaux béèrent. La cité apparut, aussi massive que l’ombre où çà et là les clartés frileuses des pots à feu arrachaient un peu de jaune et de rouge. Ces feux se dédoublaient et délayaient dans une rivière, au pied du château : un titan bourrelé de gros ouvrages sombres entre les merlons desquels luisait de loin en loin quelque barbute ou épaulière. Blême parmi les nuages dilacérés aux dents de l’énorme donjon, la lune éclairait à peine ; suffisamment toutefois pour qu’Ogier vît des manants et hommes d’armes assemblés près d’un pont. Leurs propos cessèrent au passage de la charrette, puis l’un d’eux ricana :
    — Par saint Yves !… On dirait qu’on enterre un cheval.
    — Et si c’était ? grogna Tinchebraye dont le roncin, aussi las que lui, fit un écart.
    Blandine s’était retournée, angoissée :
    — Elle n’est pas morte ?
    — Non, non ! Rassurez-vous, dame, dit Bernier. Nous allons soigner la Blanchette…
    — C’est tout près… dit Ybert.
    Mais on dut avancer dans cette poudre de nuit humide et froide, entre des maisons sans lueurs et sans bruits. Ogier n’osait parler. Pas même à Blandine. Des forces tout aussi obscures que cette nuit d’octobre le poussaient. Vers où ? Vers quoi ? Le bonheur ? C’était étrange qu’il se

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