Les noces de fer

sentît soudain si seul, si dépourvu de défense devant une adversité sans nom, sans visage !
    « Si le Saint-Bois t’a été robé, confisqué et s’il gît, dorénavant dans la boue avec ces démons à la croix noire, c’est qu’il devait en être ainsi ! »
    Voire… Dès demain, ils partiraient pour Gratot. Là-bas peut-être, dans une sérénité toute neuve, oublierait-il cette malaventure.
    — Noble dame, dit Bernier à Blandine épuisée, voilà notre demeure.
    Elle offrait à la vue une façade blanche à deux étages et deux portes, dont une charretière. Déjà sur le seuil, Ybert secouait le heurtoir et une chandelle animait des ombres derrière les vitraux losangés du rez-de-chaussée. Puis une femme se montra, en chemise, et s’écria :
    — Messires !… Messires !
    Trois autres apparurent. Elles accueillirent les deux frères avec des sanglots, des cris, des soupirs. Toutes étaient jeunes, échevelées, rondelettes. Un palefrenier bossu et chenu ouvrit la porte charretière, aida Blandine à quitter le chariot et, entre les ridelles, aperçut la Blanchette.
    — Si c’est-y permis !… Adonques, elle a subi des malheurs, elle aussi !
    Un jouvenceau survint, porteur d’un flambeau. Il sauta sur le devant de la charrette et considéra de près l’animal qui tentait de se mettre debout :
    — Non, non, bouge pas, Blanchette !… On te sauvera !… Mon Dieu, elle a le corps couvert de petites navrures !… Qui lui a fait ça ?
    — Des sangsues, Florent, dit Ybert, en relâchant l’étreinte nouée avec une des femmes.
    Après un unanime cri de répulsion, les voix, les rires tissèrent de nouveau, à l’entour d’Ogier et de Blandine, muets et attentifs, un feston de joie sans faille. Les deux serviteurs, sans trop s’intéresser aux frères Birot, questionnaient Tinchebraye, Joubert et leurs compagnons.
    — On le connaît, Droon de la Croixille ! C’est pire qu’un démon !
    — C’est un suppôt du diable ! affirma Florent.
    À la lueur des flammes, Ogier voyait des visages rieurs, avenants. Il se demanda, parmi ces femmes, quelles étaient les préférées d’Ybert et de Bernier. La plus grosse des quatre, Yvonne, qui semblait commander aux autres, fit entrer les inconnus dans une grand-salle au milieu de laquelle une table longiligne jetait une grande flaque de clarté.
    — Vous allez souper !… Nous aurons vite fait !
    Prenant Blandine par l’épaule, elle l’entraîna. Après quelques chuchotements, elles disparurent. Se doutant où elles allaient, Ogier regarda les deux Birot congratuler de nouveau leurs servantes à grands baisers sur les lèvres, les joues, et maints tapotements sur les fesses, tandis que Tinchebraye et Joubert apparaissaient par une porte sise non loin d’une haute cheminée.
    — C’est fait, messire, dit le pennoncier. La jument est couchée sur de la bonne paille ; le goffe [150] s’en occupe. L’autre gars, Florent, va soigner nos chevaux avec Gardic et Delaunay… Juste ce qu’il faut, on fera mieux demain…
    — Les écuries sont grandes et bien pourvues en tout, dit Tinchebraye. M’est avis que ces deux hommes ont moult richesses et que… (il cligna de l’œil)… que leurs meschines ont dû leur manquer !… Deux pour chacun, et bien en chair…
    Son regard illuminé par une espèce de gourmandise contourna les femmes, en particulier Yvonne qui revenait, précédant Blandine à laquelle elle avait offert une touaille [151] . Elle désigna la fontaine de cuivre, dans un angle, et Blandine acquiesça.
    Ogier rejoignit son épouse et tint la serviette tandis qu’elle se lavait les mains.
    — N’es-tu pas lasse ?
    — Oh ! si… Pourvu que ce dîner ne se prolonge pas !
    Bernier et Ybert s’en étaient allés avec deux servantes. Après qu’Ogier et tous ses soudoyers se furent lavé et séché les mains, les drapiers revinrent, vêtus de huques de mollequin gris, les pieds nus dans des sandales de corde.
    — Nous avons moult faim et sommes bien hodés [152] , dit Bernier. Aussi, point de nourriture chaude : cela prendrait du temps, mais des pâtés de toute sorte : chevreuil, faisan, sanglier, et j’en passe… Cela vous convient-il ?
    Tinchebraye, pour tous, affirma que ce serait parfait. On ranima le feu dans l’âtre, « pour la petite dame », dit Yvonne ; et assis sur des bancs, autour de la table, servis par les femmes souriantes auxquelles, parfois, Ybert et Bernier flattaient la