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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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hanche ou la croupe, on mangea.
    Les flambeaux dispensaient partout leur lueur d’or striée de pourpre, et les yeux lourds d’Ogier, quittant le visage laiteux de son épouse, s’attardaient parfois sur les aîtres que seuls troublaient les tintements des couteaux contre les écuelles et les glouglous du vin dans les hanaps d’étain.
    — Jamais, ce matin, dit Bernier, je n’aurais pu penser que ce soir, je prendrais céans un repas de cette espèce.
    — Grâces vous en soient rendues, ajouta Ybert en s’inclinant, puis en versant du vin à Bazire et Tinchebraye, ses voisins.
    « Jamais, ce matin », songea Ogier, « je n’aurais pu penser qu’une vingtaine de malandrins me préparaient une embûche ! »
    Il ne songeait plus à la Croix, ou du moins, il n’y voulait plus songer. Près de lui, Blandine mangeait peu et lentement. Elle avait dû deviner quels liens secrets unissaient ces deux hommes et ces quatre femmes, et fronçait souvent les sourcils avec un air de réprobation indissimulable avant de rebaisser les yeux vers son écuelle, n’offrant plus à l’attention des Birot qu’un visage lisse et pur dont la sérénité dissimulait peut-être des orages. Lui, Ogier, las parfois de l’observer, regardait les deux tapisseries aux couleurs fortes, et qui représentaient, l’une la prise d’une unicorne, l’autre Mélusine au bain, puis le dressoir où les cruches et les aiguières se teintaient de l’or du foyer dans lequel Yvonne avait jeté un fagot de sarments.
    — Ils sont riches… souffla Blandine.
    Il l’approuva. Comment, après ce qu’il avait entrevu de sa vie, ne se serait-elle pas ébahie pour cette aisance grande et belle ? Et quelle douloureuse vision l’attendait à Gratot !
    Bien qu’apprêté en hâte, le repas eût convenu à des princes, déclara bien haut Bazire en hésitant à reprendre, une troisième fois, une part de pâté de perdrix.
    — Et vous, dame ? interrogea Ybert. Allons, entamez-moi cette tourte… Je vois que les ventres de nos meschines n’ont pas cessé d’avoir contentement de ce côté !
    Il cligna de l’œil en direction de son frère, lequel chuchotait quelques mots à Yvonne, et comme Marguerite, la plus jeune des servantes, apportait un plat de panais accommodés au verjus, Joubert dit que ces légumes, à juste raison, constituaient les délices des Parisiens, lesquels aimaient aussi les concombres, ce qu’il réprouvait car ils étaient malsains.
    — Tiens… et pourquoi donc ? demanda une autre servante, Philippine, accroupie devant l’âtre qu’elle tisonnait furieusement.
    — Les hommes et femmes du Forez, qui en mangent souvente fois, sont sujets à des fièvres malignes…
    — Holà ! fit la femme en se dressant. Vous tombez mal, messire… Le Forez, j’en viens, puisque je suis de Montbrison… Si les gens de par là-bas ont des fièvres, c’est à cause des vapeurs au-dessus des étangs…
    — Ah ! non, se courrouça Bernier, ne parlez plus d’étangs ! Et toi, Guinarde, que je vois à rien faire, va donc chercher le fromage, s’il en reste !
    — Il n’y a plus que du carré de Brehemont [153] .
    — Apporte !… Apporte !… Et des fruits aussi, pendant que tu y es !
    — Ah ! oui, des fruits, dit Ybert en souriant à Blandine. Qu’as-tu à nous offrir ?
    Ses regards contournaient éloquemment la servante pour s’arrêter sur son nombril. « Pourvu que nous ne nous attardions pas ! » souhaita Ogier. Il devinait que les vins et la liberté toute neuve grisaient les deux frères, et s’étonnait que malgré leur état piteux encore, ils pussent avoir une autre espèce d’appétit que celui qu’ils rassasiaient en sa compagnie.
    — Peu de chose, messire, dit Guinarde, impassible. Du raisin et quelques rouveaux [154] achetés hier au marché…
    — Apporte !
    Ybert recommença à s’entretenir avec Tinchebraye et Delaunay, tandis que son frère répondait aux questions de Bazire et Lehubie. Gardic, lui, observait les femmes et donnait parfois un coup de coude à Joubert tout en lui glissant un commentaire à l’oreille. Et le pennoncier approuvait en riant. Ogier, la jambe de Blandine collée à la sienne, demeura quelques longs instants immobile. Dominant l’agréable senteur des nourritures et des vins, l’odeur fade et humide des étangs demeurait en lui, dans ses narines, son cerveau, ses muscles. Il vivait encore au milieu d’une incertitude saturée de haine et de

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