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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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et un broc d’eau fumante, odorante. À l’opposé, un faldesteuil et tout près, suspendue au plafond par des cordelettes d’or et d’argent tressés, une perche à vêtements qui peut-être était d’or, elle aussi. Un grand miroir d’acier poli couvrait presque tout entier le revers de la porte, et les petites flammes des luminaires y suscitaient des étincelles dorées. Telles des colonnes rouges aux replis ténébreux, des rideaux demi-clos ornaient la fenêtre en ogive, aux verres de couleur enchâssés de rhombes de plomb.
    — Oh ! que c’est beau, dit Blandine.
    À coup sûr, elle ne pourrait se merveiller ainsi en découvrant leur chambre, à Gratot !… Fallait-il l’en avertir ? En y renonçant, non sans amertume, Ogier se laissa choir en travers de la couche. Blandine à pas soudain légers s’en alla devant le miroir et s’y considéra sans la moindre complaisance :
    — La lassitude m’enlaidit… Il est temps que nous soyons chez toi…
    « Chez toi  », nullement «  chez nous  ». Que répondre ? Et cela méritait-il une réponse ? Lui aussi se sentait laid, brisé. Coupable. Cette journée, cette soirée ; tous ces gens si différents… Toutes ces déceptions… Comme, hésitant à tresser ses cheveux pour la nuit, Blandine les ramenait en arrière, dégageant ainsi son front haut et pur, il se dit que le cher visage pouvait abriter un esprit beaucoup moins souple que le corps. Que serait sa vie, leur vie, à Gratot, « chez eux  » et au-delà ?
    « Blandine livrée aux misérables lions des Argouges ! »
    Il réagit aussitôt : il se laissait influencer par la beauté de cette chambre et la façon dont leurs hôtes les avaient traités. Blandine serait accueillie à bras ouverts par Godefroy d’Argouges, Aude, Thierry et tous les serviteurs.
    « Et puis », pensa-t-il avec joie, « j’en ferai une épouse de chevalier : elle m’a appris à danser un soir, chez dame Alix d’Harcourt ? Je lui apprendrai à se tenir en selle et à galoper aux quatre coins de notre chevance [158] . Elle ne regrettera ni Poitiers ni sa famille. »
    Brusquement, parce que le sommeil efface tout et que la toilette de son épouse allait prendre du temps, il se déshabilla, se glissa dans les draps et, fermant les yeux, soupira de bien-être, car c’étaient des auversins [159] presque aussi doux que de la soie.
    — N’envies-tu pas ces deux hommes ? demanda Blandine en étouffant un bâillement.
    Il demanda, paupières closes :
    — Pour leur fortune ?
    — Je dirais plutôt : leurs bonnes fortunes.
    Un silence couvrit cette mise au point.
    — Ah ! tu vois que tu les envies… C’est, si j’ai bien compris, le grand concubinage…
    Quoique dite sans doute avec le sourire – Ogier demeurait les yeux clos –, cette remarque révélait une tension. Mais pourquoi ? Ils allaient dormir et demain, les frères Birot seraient loin. Et leurs femmes ! Ils ne les reverraient jamais.
    — L’Yvonne et la Guinarde semblaient te trouver à leur goût.
    Ogier se garda de tout commentaire en se disant qu’il avait peut-être tort. Il n’avait rien vu, rien senti. Un regard cela se voit, cela se sent. Pour lui, la question de cet intérêt était vaine.
    — Tu les as mieux observées que moi, dit-il enfin. Et puis, ces filles, je m’en moque…
    Avant que Blandine, rendue à ses pensées, ait pu trouver une réponse et décidé de l’exprimer, il remua ses jambes et observa, ouvrant l’œil :
    — Tu ferais mieux de te coucher.
    Au plafond remuaient les ors pâles des cierges, et comme il entendait un clapotement, il vit que Blandine nue, tout entière à sa toilette, paraissait ne plus se soucier de lui. Comme elle se retournait pour saisir quelque chose, il ferma les paupières. Les gouttes d’eau recommencèrent à trouer le silence. Puis un chien aboya, sans colère, et il fut certain que Saladin devinait son retour. Et quel retour ! Comme Blandine lui donnait à méditer !
    Recroquillé sur le flanc, il l’admira, claire, longue, épanouie telle une fleur de neige dont les cheveux, de leurs doux ondoiements, mettaient sur les reins creux comme une flamme ardente qui s’accentuait sur les rondeurs tranchées d’une ombre veloutée, sur les cuisses et les mollets. Un peu penchée en avant, elle respirait comme dans son sommeil. Formes pures. Si pures… Vraiment la femme qu’il avait attendue, qu’il avait pressentie lors de leur première rencontre et

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