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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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Delaunay dit que l’écriteau [179] à l’entrée de l’hôtellerie, n’avait mentionné ni la soupe de craspois ni l’auvergnat.
    — Parce qu’ils étaient mauvais, par ma foi ! dit Blandine à voix basse.
    On rit. On eût ri pour n’importe quoi. Méditant un moment sur cette joie très simple, Ogier crut en découvrir la raison : Gratot n’était plus loin, les chemins deviendraient de plus en plus sûrs ; son épouse et ses soudoyers voulaient dès maintenant oublier les fatigues et les épreuves endurées depuis Poitiers et Chauvigny, et surtout l’anxiété qui, de l’aube au soir, petite ou grande selon les lieux et les gens de rencontre, n’avait cessé de les tourmenter.
    Après qu’il leur eut recommandé la prudence, Ogier laissa ses hommes faire un tour de ville. Où iraient-ils ? Vider un gobelet dans une échoppe ? Se payer – ils avaient de quoi – une ribaude au bordeau ? Qu’importait. Il connaissait Avranches. Prenant Blandine par l’épaule, il proposa :
    — Viens voir la mer… Tu ne la connais pas…
    Un matin, à Gratot, Adelis qui non plus ne l’avait jamais vue, lui avait demandé de l’y mener, ce qu’il avait fait à la nuit. Contrairement à ce qu’il attendait, Blandine refusa de sortir : elle avait froid, elle était lasse. Il insista :
    — Juste quelques pas… Tu verras les lueurs du Mont Saint-Michel…
    Il s’était exprimé doucement, sachant quelle puissance avait parfois la douceur. Il ne vivait pas un moment difficile, comme au petit matin, et maîtrisait ses nerfs.
    — Je t’en prie : juste quelques pas… Dis, Blandine… Quelques pas…
    Était-ce un effet des flammes dans la cheminée vide de brochées, mais où craquaient toujours quelques brassées de bûches ? Il remarqua les cernures légères qui lui faisaient le regard triste ; le petit nez pincé, le pli dur de la lèvre inférieure, plus pâle, maintenant, qu’au début du souper. Sa main lâcha l’épaule sur laquelle, indécise, elle s’était posée. Blandine en parut contrariée.
    « Une enfant », se dit-il.
    Elle n’était qu’une enfant. Il sourit avec une indulgence contrainte :
    — Bon… Bon… Veux-tu t’asseoir, ma dame, au coin du feu ?
    Il crut percevoir un soupir et n’eut aucune envie de poursuivre : toute proposition obtiendrait un refus. Après tout, il était un homme solide et aduré [180]  : que pouvait-il comprendre des faiblesses d’une jeunette telle que Blandine ?
    — Je suis lasse, Ogier… Allons nous coucher…
    Elle souriait avec un réel effort dont la signification le laissa perplexe. Il imagina les volets clos, la goutte d’or de la chandelle faisant danser les poutres et les murs ; leurs ombres se mêlant avant leurs corps ; le déshabillage, la toilette sommaire et la mise au lit : « Quel côté choisis-tu ? » Gisants de chair tiède, muets, – évidemment ; leurs deux haleines paisibles ; le temps suspendu où les désirs s’aiguisent, chacun guettant l’autre de tout son corps dans l’attente – l’espérance – du premier mouvement. Elle aurait le chandelier près d’elle et d’un souffle anéantirait les dorures de la pièce. Ensuite, elle resterait immobile : elle ne pouvait être hardie deux fois de suite… Ce serait à lui de la toucher, de l’enlacer… Il atermoierait. Pas trop : juste pour aiguillonner son impatience. Ses yeux accoutumés au noir, il compterait dans les ténèbres ainsi clarifiées les poutres et les entrevous, puis les entrevous et les poutres. Oui, ils pouvaient aller se coucher. Pourquoi pas ? Et pourquoi même attendre ?
    — Viens.
    Ils quittèrent la grand-salle vide de consommateurs et s’engagèrent dans l’escalier aux degrés craquants dont certains bougeaient un peu. « On va s’aimer. » Les chairs qui se frôlent, se collent ; tâtonnements à l’aveuglette ; les lèvres trouvant les lèvres ; d’autres encore, et Blandine éperdue d’attente, espérant, paresse, caresse, d’être clouée à lui… Allons, la grande marée du plaisir valait mieux que celle qui, ce soir, cernait à grands festons d’argent les hauts murs du Mont Saint-Michel, ce Mont où Bressolles, peut-être…
    Mais qu’allait-il penser à Bressolles ? Sa fête charnelle avec Blandine allait tenir ses promesses. Ils connaîtraient l’éclair du paradis, l’incendie de leurs nerfs, la clameur de leurs entrailles… Ils rendraient une sorte de dernier soupir ensemble…

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