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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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abreuver, nourrir les bêtes et les panser, en commençant par Hautemise. Aux lueurs de la lanterne de Tinchebraye, il regarda les fers de chaque animal afin de n’être pas retardé dans les dernières lieues.
    Il prit bien soin de Marchegai ; il lui semblait qu’il l’avait délaissé. Après une caresse au garrot et au chanfrein dépoussiéré, il se lava les mains à l’abreuvoir et invita ses compagnons à l’imiter puis, les précédant, il entra dans la salle commune et s’attabla.
    — Mon épouse n’est pas encore descendue !
    — Même lasses, les femmes font toujours un brin de toilette. Et plus elles sont hodées, plus ça dure.
    Des grognements approuvèrent Joubert. Ogier ne dit mot, mais son impatience et son appétit s’accrurent. Une servante posa trois pichets de vin sur la table ; ils furent aussitôt vidés.
    — Qu’on apporte la soupe. Elle ne tardera pas.
    Il n’en était pas si sûr, mais Tinchebraye et Gardic se mettaient à manger du pain. Ils avaient faim. Tous avaient faim. Blandine, elle aussi, devait avoir la faimcalle !
    La servante apporta un potage, puis un autre : au choix selon les goûts. L’un était au cresson, l’autre à l’eau de craspois [177] . Elle emplit à grandes et lentes louchées les écuelles – sauf une –, et l’on commençait à tremper les cuillers quand Blandine apparut.
    — Ah ! dit Ogier sans plus, en avalant une gorgée de bouillon au cresson.
    Elle avait tressé ses cheveux et fait apparaître sur son cou les anneaux d’or qu’il lui avait offerts à Chauvigny. Elle avait cet air aimable qu’il aimait tant et qui se figea un peu quand elle entendit Bazire, Joubert et Tinchebraye avaler bruyamment leur soupe.
    — Qu’y a-t-il là-dedans ? dit-elle en désignant la marmite de cuivre martelé où fumait le brouet de craspois.
    — Un délice, dame ! répondit Tinchebraye. Goûtez-y !
    Blandine se servit. Une louche. Dès la première cuillerée, elle trouva la soupe affreuse. Repoussant son écuelle et grimaçant un peu, elle admonesta Tinchebraye :
    — Vous m’avez menti, l’ami ! C’est une soupe dépourvue [178] … Rien de plus !
    — Pour moi, dame, dit le Normand paisible, elle n’est pas dépourvue d’attraits. Et n’étant pas dépourvu d’appétit, permettez que je m’en délecte.
    Il continua d’avaler le brouet, faisant sans s’émouvoir plus de bruit encore. Comme Blandine, contrariée, se détournait – ébaudissant ainsi les cinq autres compères – Ogier, caressant son poignet, lui glissa au creux de l’oreille :
    — Chez dame Alix d’Harcourt, parmi les gentilfames, les nobles et les barons, n’aurais-tu pas trouvé ce brouet délicieux ?
    Il riait. Il avait envie de rire. Le dépit léger de Blandine le replaçait dans sa peau d’homme et non de soupirant. À d’autres les cours d’amour, les jeux mielleux de l’esprit, les gages de passion et les propos plus mous que des coussins de duvet ou de laine. Il ajouta, serrant tout à coup les poings :
    — Blainville, qui avait le roi dans sa manche et mangeait à sa table, et Guichard d’Oyré, qui rompait le pain avec l’évêque, faisaient plus de brouillis encore !
    Ses hommes, il était prêt non pas à les défendre, mais à les louer bien haut – comme ils le méritaient. Sur la butte de Crécy, à défaut de savoir tenir une cuiller, ils avaient su tenir une arme. Joubert et Tinchebraye, à Poitiers, avaient su être plus silencieux que des ombres. Pour la sauver !
    Blandine hésitait à répondre. Un reste de déplaisir et un regret qu’Ogier voulut trouver sincère s’affrontaient en elle. Rougissant un peu, elle s’amenda :
    — Tu as raison.
    Un visible soulagement parut sur les visages de ces convives faits pour la guerre et non pour les parlures et les façons de Cour, encore qu’il n’y en eût pas à Poitiers mais que peut-être, en leurs conciles, les nobles fissent semblant d’y être. Blandine avait-elle suivi ses parents à ces assemblées ? Avait-elle du goût pour ces sortes de fêtes ?
    Le souper continua, sans gêne ni façons. La servante apporta des pâtés, un rôti de chevreuil, des fromages de Touraine et un de ces auvergnats à la confection desquels on n’employait, dit Bazire, que des gars de quatorze ans, « bien nets et bien sains ». Puis on mangea des pommes, le tout arrosé d’un vin aigrelet mais qui se laissait boire, même par Blandine.
    On se leva, on souriait.

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