Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
Vom Netzwerk:
esprit, de plus en plus quiet et lucide, commençait à les étouffer. Plutôt que de penser à ses charmes, mieux valait se gaver du souvenir des autres, certes moins émouvants, mais bienfaisants aussi. Ses emmêlements avec Bertine – justement –, Guillemette, Isaure et celles de Rechignac avaient eu au moins un précieux avantage : il quittait leurs bras et leur corps repu, libre et rasséréné. Elles étaient ses remèdes et Blandine son mal !
    — Allons, messire… Prenez place et mangez !
    Il avala une écuellée de soupe et fut reconnaissant à Bertine de s’être éloignée sans ajouter un mot. Non, non, il n’allait pas user sa patience à entretenir son tourment ! Il allait, il devait se réconcilier avec Blandine. Il se pouvait qu’à son réveil elle trouvât bénigne cette querelle dont il n’avait cessé d’aggraver le ton et d’assombrir les conséquences.
    Il se rendit aux écuries. Il ébahit Joubert et Tinchebraye en bouchonnant puis en étrillant Marchegai – ce qu’ils s’apprêtaient à faire.
    — Il est mon ami et je m’en charge… Au lieu de t’ébaudir, Joubert, va donc t’occuper de Hautemise…
    — Vous allez sortir ce matin ?
    — Qui sait ?… Ma femme dort encore.
    — On prétend que le mariage fatigue les hommes, messire, et non les femmes, dit Tinchebraye en bouchonnant Plantamor. Faut croire que non… Il est vrai qu’avec cette longue chevauchée… et tout ce que nous avons subi…
    Le soudoyer riait, mais à peine. Ogier soupira. « Qu’ils croient tous ce qu’ils veulent ! » De nouveau, il se sentait pesant et vide, inquiet de voir cette journée en germe s’achever sur un malentendu.
    Marchegai l’observait, paisible sous l’étrille – comme toujours. Les grands randons qu’ils avaient accomplis ensemble… Et quelle force, aux joutes de Chauvigny, lorsque, se partageant l’ouvrage, ils avaient malmené successivement Blainville, Guesclin, Oyré… Berland et tant d’autres ! Blandine l’admirait alors ; elle n’avait d’yeux que pour le chevalier au Poing Vermeil. Ignorant tout d’elle, il la parait d’infinies qualités. Quelle allait être son humeur ?
    Il visita tous les chevaux et s’attarda auprès d’Artus, le fier moreau de Jaquelin de Kergoet, dont il caressa le chanfrein dur et soyeux :
    — Si ton maître nous voit de Là-Haut, il peut vérifier que nous te traitons bien.
    Le cheval sabota, secoua sa noble tête. «  En ce temps-là, je ne connaissais pas Blandine… » Allons, bon : il n’allait pas s’apitoyer sur le passé ! Il alla caresser Broiefort et Passavant, belles bêtes de Rechignac, et qui paissaient ici, désormais, une herbe grasse à souhait. Puis il vit Facebelle et entra dans sa parclose :
    — Vas-tu bien, beauté ?
    C’était la jument d’Adelis, laquelle sans être bonne cavalière, en avait tout obtenu par la douceur. Dans l’ombre, sa robe semblait d’un gris léger, sa crinière et sa queue ténébreuses.
    — Tu es aussi belle que cette Hautemise. Tu plies le cou mieux qu’elle, et je crois que tu danses mieux quand, libre dans un pré, tu te sens de bonne humeur… Il te faudrait un poulain… J’y veillerai… Adelis t’aimait bien… Je t’aime bien, moi aussi…
    De là, et puisqu’il en était aux juments, comment ne pas se souvenir de Roxelane, très blanche, très belle, très douce… Et de là, aussi, à se demander si Tancrède la montait toujours…
    Il revint sur ses pas, assena, au passage, une claque sur la cuisse brillante et dure de Marchegai, puis, d’un pas décidé, il quitta l’écurie. Dans l’ombre du seuil, levant la tête, il s’arrêta : en face, Blandine se penchait à la fenêtre de leur chambre.
    — Ohé !
    — Ohé ! fit-elle en agitant la main.
    Ses cheveux tressés, roulés en templières, faisaient mieux ressortir le parfait ovale de son visage. Elle avait répondu avec tant d’empressement à son cri, à son geste, qu’il se rassura tout en se disant qu’elle était bien belle.
    — Vas-tu descendre ?
    — Il ne me reste qu’à m’habiller.
    Elle semblait décidée à conclure une paix. Si de pernicieux souvenirs rendaient son humeur changeante, elle s’en affranchirait ici même. En quittant Poitiers, en unissant promptement sa vie à celle d’un hobereau dont elle ne savait rien, quelque confiance qu’elle eût en lui, elle avait dû vivre dans des doutes désagréables, envenimés par leurs aventures.

Weitere Kostenlose Bücher