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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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à la mer. Il y allaient non plus au trot mais au pas, et tandis que Hautemise cheminait, sa cavalière se frottait doucement le ventre. Elle le faisait d’ailleurs fréquemment afin de rappeler à tous son état. Il lui avait demandé : « Comment veux-tu les appeler, garçon ou fille ? » Elle avait le temps.
    Il neigea fort, le dimanche 3 décembre. Tous les feux de Gratot se mirent à ronfler. Entre les murs épais, Ogier se sentit bien, soit qu’il fut auprès de Blandine, soit qu’il aidât les hommes à leurs labeurs, soit encore, à midi, qu’il attendît le repas sur un banc de la grand-salle, observant dans l’âtre enfumé les bûches mordues au feu cracher leurs escarboucles. Au-dehors, c’était gris, c’était blanc, c’était froid. Dans la cour poudreuse, les deux tombes conservaient leur couleur châtaine. Il semblait qu’elles refusaient ces couvertures de duvet ou que les corps, dessous, tièdes encore, les faisaient fondre.
    — Si Blainville n’était pas mort, dit Godefroy d’Argouges en s’approchant d’Ogier, nous aurions succombé ! Cet hiver-là sera cruel ! Les Anglais qui cernent Calais vont souffrir !
    — Et les assiégés aussi, Père. Thierry, qui a eu quelques nouvelles auprès de Nicolas de Chiffrevast, dit qu’on craint de manquer de vivres, et que les nefs d’Angleterre empêchent le passage des barques chargées de vitailles… Le roi Philippe tient sûrement à se venger de son échec de Crécy… Hélas ! il fait surtout confiance aux défenseurs de la cité…
    — Est-il là-bas ?
    — Non, Père… Il paraît qu’Édouard a fait bâtir une grande ville en bois tout autour de Calais et qu’il s’est installé là pour longtemps… Car il est avec ses hommes et non pas à la Cour de Londres… C’est son épouse, en son absence, qui fait la guerre aux Escots, soulevés une fois de plus [205] .
    — Si les manants et bourgeois de Calais n’ont plus de nourriture et rien pour se chauffer, l’hiver leur deviendra infernal !
    Bras croisés, le flanc et l’épaule offerte à la chaleur du foyer, Godefroy d’Argouges regardait les flocons incessants et serrés. Ogier frissonna. Pauvres gens de Calais ! Jamais Édouard ne lèverait ce siège, à moins que Philippe ne l’y contraignît en le prenant à revers… Mais fallait-il compter sur un roi aussi niais ? L’air, dehors, brûlait les narines et les poumons, et la neige tombait si dru qu’on entendait ses bruissements. Ici, le feu ouvrait sa brèche tiède jusqu’aux portes du perron et des cuisines. Ogier fit un pas, s’avisa de la table, s’assit dessus d’une fesse et regarda au-delà de la fenêtre, devant lui. Les toits se matelassaient ; les arbres, hors des murailles, devaient ployer sous cette fleuraison qui les faisait tous frères. Saladin apparut, suivi de Péronne et de leurs deux fils. Ils se couchèrent devant l’âtre avec un soupir d’aise.
    — Infernal, Père, dit Ogier. Nous vivons des temps difficiles et les Goddons sont les plus forts ! Il paraît que dans cette ville en bois qu’Édouard a baptisée Ville-Neuve-la-Hardie, on trouve de tout. Non seulement ce qui convient à une armée, mais ce qui est nécessaire aux gens du commun, dont certains sont venus de la Grande île : mercerie, halles de draps et de pain, boucheries… Le marché y a lieu le mercredi et le samedi… Et tous les jours, par mer, de Flandre et d’Angleterre, les Goddons sont confortés en vivres et marchandises… ainsi qu’en armes, bien sûr !
    — En somme, dit Godefroy d’Argouges, il ne manque plus que des bordeaux !
    Il souriait ; tout ce blanc devant lui, cette chaleur derrière, procuraient à cet homme tourmenté une sérénité dont Ogier fut content. Il se leva et tapotant l’échine de Saladin :
    — Hé oui, Père. Mais on peut faire confiance à Édouard pour cette nécessité ! On lui donne un fort appétit de chair… Je suis sûr qu’il a des femmes à sa disposition…
    — Philippe devrait réunir d’autres guerriers et l’affronter !… Si l’on parvenait à bouter le feu à toutes ces charpentes, il y aurait moyen, sans doute, de vaincre Édouard… Qui commande à Calais du côté de la France ?… Le sais-tu ?
    Ogier s’assit dans la cathèdre paternelle. « Hier, il faisait beau et sec… Au soleil, il faisait bon… Blandine aurait dû m’accompagner au manoir de Blainville… Maintenant, si cette neige dure, elle sera comme recluse et

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