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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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fallait-il prendre Blandine à la légère et ne pas s’affecter de ses étrangetés. Comme Saladin les devançait sur la jetée, Ogier serra son épouse un peu plus fort :
    — Tu n’es pas gênée qu’il nous accompagne ?
    Elle abaissa son regard sans lui fournir de réponse.

II
    Novembre vint. Le Cotentin subit ses vents, ses pluies, ses grêles même par deux fois. Endiamantés de rosée, les matins pâles se chargeaient de l’odeur d’une mer courroucée. Blandine voulut la voir à trois reprises, blafarde sous des nuées d’ivoire et de ténèbres, aiguisant dans son flux les pointes des vagues énormes qu’elle venait briser sur les rochers d’Agon, le hameau de pêcheurs qui, ces jours de violence, demeuraient dans leurs masures. Elle revenait à Gratot les joues rouges, luisantes de poudre d’eau. Elle se léchait les mains : « J’aime ce goût de sel ! » Elle montrait une santé parfaite et sa beauté s’en trouvait rehaussée. Ogier lui disait, quand il l’aidait à descendre de la sambue de Hautemise :
    — Tu deviens de plus en plus belle !
    Elle se montrait sensible à ces louanges. Le visage en repos, les yeux pétillants, les cheveux flottant aux souffles – elle ne les apprêtait jamais ces jours-là et passait sa langue sur les mèches égarées, collées à ses lèvres –, elle semblait pétrie d’une grâce divine. Il remarquait combien son front exprimait de hardiesse, combien sa bouche entr’éclose donnait à son sourire une expression de fermeté. Cette joie inspirait confiance. Il n’y avait aucune ressemblance entre cette femme-là et celle qui, à Gratot, se complaisait dans une tristesse qu’elle ne cherchait jamais à dissimuler. Avait-elle donc un si profond dégoût de ces murailles grises ? Des gens qui les animaient ? « Parle ! Dis-moi tout. Maintenant que tu es gaie, profitons-en. Je sais qu’il nous faut apprendre à vivre : dis-moi comme tu aimerais et je m’efforcerai de te faire plaisir ! » Pourquoi hésitait-il à lui parler ainsi ? Parce que sa beauté le troublait toujours autant qu’à leur première rencontre. Sa raison lui soufflait comme cette fois-là : « Trop belle pour toi. » Comment guérir de ce sentiment d’infériorité ? Face à cette beauté qui l’aimait , il devait refuser de se croire un rustique. Il était chevalier, champion du roi de France ; il devait secouer cette chape de plomb, s’interdire de se dépriser… Sans doute cette mélancolie dont il était atteint par la faute de Blandine – et non par contagion de celle où elle s’enlisait – authentiquait les grandes amours des livres : Tristan s’était langui auprès d’Yseult la Blonde, et Lancelot près de Guenièvre. Ogier le Danois, épris de la fée Morgane, avait enduré, lui aussi, moult tourments du cœur. Mais c’étaient là des détresses et des afflictions fausses, inventées par des clercs ou des eunuques ; c’étaient des maux de l’âme dus en quelque sorte, à la non-consommation d’un amour impossible. Lui, Ogier, il avait possédé Blandine consentante. Et il la possédait. Elle ne se refusait pas – ou si peu… Il connaissait son corps, ses élans, sa saveur, ses sacrifices changés en adhésions ardentes. Ils se mêlaient étroitement. Pourquoi leurs esprits s’éloignaient-ils si souvent l’un de l’autre ? Ne seraient-ils vraiment unis que dans un lit ? Quand il la regardait, affligée sans raison, une expression lui venait, peut-être fausse mais parfaite : elle ne l’aimait qu’à son corps défendant ; elle tirait de leurs étreintes des plaisirs égoïstes en pensant à un autre. Pourquoi pas Rochechouart ?
    « Et Gratot qui devient de plus en plus beau !… Le voit-elle ? »
    Quelle femme serait demeurée de glace aux égards qu’on lui témoignait ? Quelle autre ne s’en serait grisée ? Aude venant rarement, désormais, Blandine pouvait régner en maîtresse, en régente sinon en reine. Mais elle semblait souvent bien loin de ce qui se faisait dans et hors des murs. N’avait-elle d’autre orgueil que sa beauté ? D’autre ambition que de la parfaire ? Elle lui parlait, ces temps-ci, de prendre une chambrière et ajoutait parfois qu’elle ne pourrait en trouver une bonne qu’à Coutances. Il craignait de finir par la lui accorder, soit par lassitude, soit parce qu’elle saurait bien l’amener à céder.
     
    *
     
    Le dimanche 26, au sortir de la messe, Thierry qui, avec Aude,

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