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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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devant, sur un trépied à traire, les coudes sur ses cuisses, la tête entre ses mains.
    — Pourquoi ne prends-tu pas le faldesteuil ? Il est plus large, plus profond…
    — Je suis bien ainsi.
    — Soit… As-tu vu ce temps ?… L’hiver sera rude.
    — En Poitou, il l’est rarement.
    Était-ce, formulé doucement, tendrement même, une sorte de reproche ?
    Ogier regarda les doigts de feu contourner un bout de branche. Caresse et morsure à la fois. Succion ardente sous laquelle la ramille se tordait comme un membre. Blandine l’observait aussi, sans doute, mais immobile derrière elle, il n’eût pu l’affirmer. Se penchant, il passa ses mains par-dessus les épaules de son épouse et enveloppa ses seins. Elle ne remua pas. Ni satisfaite ni mécontente. Était-ce son cœur ou celui de Blandine qu’il sentait battre sous sa paume ?
    Toute sa tendresse, parfois si chancelante, renaissait. Cet amour neuf, plein de séduction, existait. Leur chambre était leur reclusoir, et au printemps, il l’embellirait. Tout près, dans un panier, des pelotes de fils semblaient des fruits étranges, fraîchement cueillis. Plus loin, dans son cadre de chêne clair, la tapisserie changeait au gré du feu le peu de couleurs qui l’éclairaient encore. Il y avait, autour d’une princesse, une unicorne et un lion. La femme avait un visage vide, mais sa coiffe d’or était presque achevée. À ses pieds sommeillait un petit singe vert.
    — C’est moi, là ?… Tu avances ?
    — Un tantinet… Tu le vois bien.
    Elle se leva. Il crut discerner de l’irritation dans sa façon de s’approcher du feu qui crachotait un peu de rouge.
    — Gare à ta robe…
    N’ayant cure de cet avertissement, elle parla d’un vol d’oies sauvages qu’elle avait vu passer avant la chute des premiers flocons et ajouta qu’il faudrait balayer le perron et y jeter du pain pour les oiseaux. Il acquiesça et apprécia qu’elle fût charitable. Aude, sans doute, n’aurait pas eu cette idée de nourrir les oiseaux parce qu’elle avait manqué de pain pendant cinq ans. Cinq ans où le moindre moineau avait été une nourriture.
    — Tu es bonne… Aussi bonne que belle…
    Il se pencha, déposa un baiser sur le dessus de ce front tiède, sur ce cou enrichi de mousse transparente, si clair qu’en se relevant, il y vit la trace rose de ses lèvres.
    — Si ce temps-là continue, nous allons passer des semaines bien tristes… J’ai peur que tu ne t’ennuies…
    Elle eut un frémissement et porta sa senestre à son cœur comme si une fraîche cicatrice venait de s’y rouvrir. Les flammes, dans ses yeux, jetaient des floches d’or ; ses joues, son front étaient fleuris de clartés vivantes et un sourire vint éclore sur ses lèvres. Inattendu. Inespéré. Ogier se pencha sur cette fleur de chair, en aspira le suc et le parfum, et se dit que sans doute avec peu d’insistance, Blandine eût consenti à se tendre vers sa chaleur, quitte à revenir, ensuite, devant cet âtre où une bûche se cassait, répandant sur la pierre quelques poignées de sciure vermeille.
    — Si cet hiver doit durer plus que d’autres, ne pourrais-tu m’offrir une pelisse d’écureuil, de renard ou de bièvre [210]  ?
    — Holà, dit-il, je t’en ai payé une.
    — Nullement fourrée… Bonne pour le printemps…
    — On verra…
    Il s’approcha de la fenêtre et regarda la neige au travers des verres à vitre [211] grossiers, épais, à demi opaques, parsemés de nœuds en forme de cul de bouteille. C’était une dépense folle, mais il avait tenu à remplacer les parchemins huilés pour Blandine. On avait pu penser que c’était un changement effectué à l’instigation de son épouse, or, c’était faux : cette idée lui revenait, et son père n’avait exprimé aucun blâme. Il songea sans plaisir aux deux chandeliers de laiton à grand picot qu’il avait achetés dix sous et à ce pelisson nullement fourré, mais chaud, pour lequel il avait dû en débourser soixante. Ce jour-là, il était heureux au sortir d’une nuit qui l’avait éreinté… Blandine avait aussi exprimé d’autres souhaits : porter un chaperon de penne [212] gris, à sept boutons d’argent, et une ceinture ferrée de clous d’or, semée de perles, émaillée et armoriée de lions. « Ce ne sont pas ceux de ta lignée, mon époux, mais vois comme ils sont beaux ! » Loin derrière eux, à l’ombre de la cathédrale, Tinchebraye et Joubert, qui les

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