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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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lui :
    — Est-ce mon cas ?
    Elle avait parlé bas, avec une sorte de componction sucrée, tout en le prenant par le cou comme une femme très aimante. Était-ce enfin la reddition ? Croisant le regard étonné de Thierry, puis celui indéchiffrable d’Aude, Ogier songea : « S’ils savaient que je suis comme une viande havie : brûlé à l’extrême mais nullement cuit en dedans… » Néanmoins, il entoura la taille de Blandine, ferme et flexible à travers le tissu d’une robe émeraude. Vingt jours, même plus, sans l’avoir touchée. Et tout à coup, d’un mouvement accompli par elle, il sentait le renflement de son sein – dur, insistant, prometteur. Or, nul désir ne s’éveillait en lui ; nul besoin d’ivresse vertigineuse, nulle préméditation. « Quand nous serons couchés je serai comme un marbre. » La passion l’avait déserté. Ce geste n’était qu’une feinte, un moyen de ne pas déchoir aux yeux de sa sœur, de son beau-frère et de quelques autres dont Joubert et Tinchebraye, Bertine, Isaure et Guillemette, plus clairvoyants qu’ils ne le laissaient paraître.
    Il quitta la table accroché au bras de son épouse et souhaita la bonne nuit à Thierry et quelques soudoyers apparemment insensibles au sommeil. Un feu brûlait dans la cheminée de leur chambre : Isaure, de loin en loin, s’était levée pour l’entretenir. Saladin, qui dormait sur un tapis devant l’âtre, se leva, s’étira, les pattes en arrière, puis s’en alla.
    — Pour une fois nous dormirons sans ton chien lige ! dit Blandine avec satisfaction. Veux-tu tirer le moine ?
    Il le fit, tandis qu’elle se dévêtait avec une lenteur exagérée. Elle se jeta dans les draps et y grelotta longtemps.
    Ogier, dans l’angle de la fenêtre, regardait le jour pâle et fumeux et les gerbes d’or que le soleil déployait çà et là du côté de la mer. « Tiens, Aude et Thierry entrent dans leur chambre… » Petits bruits et craquements. Puis un silence doux comme leur entente.
    — Tu ne te couches pas ?
    Il tombait de sommeil mais se refusait à entrer dans le lit pour ne pas y capituler sans honneur. Il regarda sa main et se souvint de la chair bombée qui l’avait emplie tout entière. Puis il entrevit sa face dans la vitre toute proche : cheveux blonds récemment coupés à l’écuelle par Tinchebraye ; front haut, nez petit et menton volontaire ; fortes lèvres qui ne touchaient plus celles de Blandine.
    — Allons, viens te coucher… J’ai froid…
    Saladin traversait la cour. Dans les logis des serviteurs, tout dormait. Dans celui des soudoyers, une chandelle s’éteignait. « Maintenant, je suis seul debout… et je chancelle. Parce que j’ai trop bu… Tiens, Bertine… Elle ne s’est donc pas couchée !… Que va-t-elle faire à l’étable ? Pourquoi regarde-t-elle cette fenêtre ? » Il fit un pas de côté pour qu’elle ne le vît pas, mais il fut certain qu’elle l’avait aperçu.
    — Viens donc te coucher.
    Voix douce et impatiente. « Sitôt après l’amour, elle me reparlera de cette pelisse et si je lui dis Non, elle se jouera de mes désirs plus longtemps que ces derniers jours… » Lui céder malgré tout ? C’eût été trop simple.
    Il se tourna vers elle. Ses cheveux scintillaient à l’or de la chandelle. De ce corps tant aimé, réfugié dans les draps et couvertures, il ne voyait qu’une oreille, un peu de joue et de nez. L’attrait qu’ils avaient exercé sur ses yeux et ses sens était bien révolu.
    — Où vas-tu ? demanda Blandine quand les gonds de la porte grincèrent. Tu ne te couches pas ?
    — Pas sommeil… Je vais enfourcher Marchegai et galoper pour m’éveiller tout à fait.
    Il savait – et il en sourit à l’avance – qu’il n’enfourcherait pas que son cheval…
     
    *
     
    L’air frais et le silence de la cour lui offrirent une sensation des plus exquise. Il passait de la sujétion à la liberté, de la déception à une espérance sordide, mais régénérante, et peut-être à une sorte de perversité dont il n’était en rien responsable. Gratot reposait dans un silence aussi léger que les nuages dans lesquels s’empêtrait la lune. Pour un peu, il eût avancé sur la pointe des pieds afin de conserver autour de sa personne cette impression d’exister dans du feutre, au-delà ou en deçà de tout, et de disperser dans les demi-ténèbres l’intolérable sentiment de vergogne qui le rongeait. Un

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