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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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la poussée de la multitude anglo-gasconne. Des chevaux hennissaient de douleur, de frayeur, et ruaient. L’un d’eux tomba, puis un autre, entraînant leurs cavaliers dans la mort.
    — Ça va bien mal ! dit Joubert.
    Les oupilles avaient cessé leur vol de feu ; les falariques également ; aucune sagette ne tombait plus des créneaux. Les clartés des rares incendies blêmissaient : on allait bientôt se battre aux lueurs des flambeaux que des manants pris dans la presse agitaient, tandis qu’au-dessus d’eux les Poitevins hurlaient :
    — Revenez ! Revenez !
    Amenuisée par un souffle oppressé, une sonnerie de trompe effleura le vacarme. L’homme qui cornait la retraite se penchait entre deux merlons, au milieu de la courtine reliant les tours portières. Un trait l’atteignit et il chut à la renverse.
    — La peur les a tous atteints… Voyez !
    C’était, tempétueuse, la grande reculade vers l’arche de pierre dont un vantail se refermait lentement tandis que les arbalétriers refluaient à l’intérieur de l’enceinte.
    — Maintenant, dit Tinchebraye, le sang va pisser durement !
    Les combattants se battaient dans l’ombre du trébuchet. Déjà, courbés sur l’encolure de leur roncin, des chevaliers et leurs écuyers s’engouffraient dans la cité, hurlant qu’on leur fît place. L’un d’eux, qui portait la bannière des comtes de Poitou : de gueules à cinq châteaux d’or, armes qui eussent pu être celles de Chauvigny, en rompit la hampe en heurtant de son fer le cintre de pierre.
    — Les couards ! grommela Tinchebraye.
    L’épouvante s’emparait des vaincus : dans leur hâte d’entrer en ville, certains oubliaient de se battre et tombaient sous les yeux des soudoyers et citadins, – leurs parents peut-être – penchés aux créneaux. Les meilleurs se découvraient soudain entourés d’ennemis et tombaient transpercés au ventre, aux flancs, au dos ; et la désespérance fluait dans Poitiers avec les blessés soutenus ou traînés par ceux que la poussée adverse ou la perte de leur arme contraignait à renoncer. La déconfiture avait une odeur de flammes mortes, de sueur et de sang. Odeur connue. Ogier s’agenouillait, imité par ses compagnons :
    — Il est temps, les gars, d’estourmir du Goddon !
    — Nous nous reverrons, messire, j’en suis sûr !
    — J’en suis sûr, moi aussi, foi de Tinchebraye.
    —  Montjoie-Saint-Denis !
    L’estoc de leur épée en avant, ils coururent en direction de cette entrée tant observée en hurlant toujours le cri des rois de France, et furent engloutis dans un remous de fer. Suivi de près par Tinchebraye, plus heureux que lui-même à manier son arme, Ogier se fraya une voie jusqu’à la porte.
    — Bon Dieu ! jura un homme barbouillé de sang, nul ne nous envoie une compagnie pour soutenir notre retraite !
    « Ils se battent à un contre cinq !… Qui commande à Poitiers ?… Quel est le marmouset qui leur refuse toute aide ? »
    Ogier fut cerné, emporté vers une des tours portières. Celle de droite. Il y avait bien là dix seigneurs poitevins, des manants à cheval et quelque trente piétons. Autour d’eux, une immense meute d’Anglais et de Gascons : chevaliers à pied férissant de l’épée, piétons maniant la guisarme, le vouge, le fauchard et la coustille. Tous s’encourageaient au meurtre :
    — À la mort ! À la mort !
    Essayer de secourir ces hommes, c’était périr enferré. Leur dégagement semblait impossible tant l’étreinte ennemie se révélait épaisse. Chevalier ou écuyer, un Poitevin tenta une percée qu’il paya de sa vie ainsi que son cheval. Sa vaillance excitant ses pairs à la prouesse, Ogier se trouva pris dans un tourbillon provoqué par leur poussée. Des guerriers l’affrontèrent. Ignorant qui l’assaillait, il se défendit de son mieux, donnant des taillants et des coups de pied en hurlant : « Montjoie ! Montjoie ! » afin d’éviter les méprises. Mais, dans cette frainte [34] énorme, pouvait-il être entendu ? Il s’écœurait à pousser sa lame dans des chairs vives ; il trébuchait parfois sur un corps et n’avait qu’un désir : approcher toujours et toujours de cette porte pour le moment invisible et dont le second vantail, sans doute, devait se refermer. Il ne voyait rien d’autre, autour de lui, que des hommes ensanglantés hurlant de fureur et de douleur, et savait ce qui se passait plus loin : « Tous doivent

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