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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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les siennes. Comme il voulait la regarder au fond des yeux, elle ferma promptement les paupières et demeura immobile, muette, insondable. En n’éclairant que son visage, les chandelles rendaient plus troublante encore sa détresse mêlée d’un courroux qu’il sentait se développer sans pouvoir ni vouloir y porter remède.
    — Je déteste toutes celles que tu as connues… ces filles, ces femmes, ces putes !
    À tant vouloir avilir les autres, elle s’avilissait aussi. Ne comprenait-elle pas qu’alors même qu’ils s’apaisaient, elle détruisait d’un coup l’espoir d’une trêve ?
    — Une femme, une jouvencelle qui consent à l’amour sans passer par l’autel n’est pas forcément une pute…
    Il eût dû renoncer, mais il lui semblait qu’il perçait un abcès mûr depuis quelques mois et dont ils avaient farouchement ignoré le grand état de purulence. Ensuite, tout pouvait aller mieux – ou plus mal, s’il se pouvait que le mal empirât.
    — Tu ne me réponds pas.
    — Je n’en ai nulle envie.
    Dans quelques jours, loin de Gratot et trop soucieux de sa personne pour s’inquiéter de Blandine, il aurait oublié cette absurde querelle.
    — As-tu aimé quelqu’un avant moi ?
    Elle secoua la tête, éparpillant ses cheveux sur ses épaules. Elle avait sûrement eu des tentations. Qui pouvait s’y soustraire ? Certains clercs eux-mêmes y succombaient. Elle avait su y résister puisqu’elle était vierge à leur mariage. Soit qu’elle en eût du regret, soit qu’elle en fût satisfaite, elle soupira. Sentant son souffle sur sa main, il dit en soupirant aussi :
    — Faut-il ou ne faut-il pas oublier sa jeunesse prime ? Plus on vieillit, plus on y pense et plus elle vous fournit des regrets… Parce qu’elle était sans soucis, la mienne fut d’une beauté que j’ai payée très cher lors de mes enfances [281] . Et la tienne ?
    Il lui parut que Blandine réprimait un sanglot.
    — Quand ta mère a trépassé, ton père s’est remarié en hâte… Une hâte qui t’a fait penser qu’il connaissait la seconde lors de la vie de la première… C’est ce que tu lui reproches. C’est aussi pourquoi tu détestes cette dame Berland qui a eu l’audace d’offrir un fils à ton père !… Et de savoir comment ils l’avaient fait t’a peut-être donné l’amour en haine… Car aimer, pour toi, c’est forniquer… Ce n’est pas l’amour qui te plaît, c’est le culte, la vénération, parce qu’ils se font mains jointes… On admire et ne touche pas !
    Il fut soudain certain que Blandine avait exécré la seconde dame Berland sans jamais oser le lui montrer sauf lors de leur séparation. Ce dépit nourri au cours des jours et des nuits sans sommeil avait corrompu son esprit, lui fournissant à l’égard de l’amour et des hommes cette aversion qui s’était effacée avec lui, Ogier, mais dont elle n’était qu’incomplètement guérie et qui, maintenant, reprenait force et venin. Oui, elle avait détesté son père : en se remariant avec damoiselle Philippa Lanière, il avait bafoué, trompé feue dame Tiphaine. Et un gars était né de ces amours-là comme un enfant d’adultère. Elle n’était plus rien, elle, ou peu s’en fallait. Les hommes ne pensaient qu’à s’accoler aux femmes. Elle les avait jugés selon trois modèles : Herbert le jeune avide de la cueillir comme une fleur, sans souci qu’il y eût inceste et qu’il fût son puîné ; Aimery de Rochechouart, faussement tendre, mais serviable, avenant ; Herbert Berland le vieux, dur, hautain et qui peut-être, parvenu à satiété avec sa seconde épouse, courait à l’aventure, comme disait Tinchebraye lorsqu’il partait de Gratot pour Coutances… Mais lui, Ogier, là-dedans ?
    — Les hommes te répugnent à cause de leurs envies, de leurs jeux, de leurs guerres… Tu m’as rencontré un jour où, agressée par un démon, Lerga, je t’ai fait l’effet d’un ange… Mais le rêve est passé : te voilà replongée dans ton horreur des mâles…
    Ogier marcha de nouveau jusqu’à la fenêtre, l’ouvrit et respira un grand coup comme s’il remontait du fond d’un étang aussi maléficié que celui de la forêt de la Croixille, les sangsues en moins. La nuit répandait sur Gratot sa fraîche douceur bleu sombre. Le vent tiède et ténu voletait vers la mer. De ce temps, elle devait être immobile, percée çà et là par les épées de lune.
    — Un bien beau pays que je vais

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