Les noces de fer
Moi, si !
Blandine déraisonnait. Aude avait répondu à l’amour de Thierry justement parce qu’elle savait qu’il l’aimerait toujours avec l’admiration du huron pour la princesse lointaine. Et c’était peut-être parce qu’ils appartenaient à deux races différentes, communément séparées quand elles n’étaient pas opposées, qu’ils s’accordaient à merveille.
— Telle que je te connais maintenant, je sais que tu serais incapable d’aimer un rustique, Blandine. Même un garçon pourvu d’immenses mérites et de ces qualités de cœur qui font les bons époux.
— Tu parles pour toi ?
Ogier éloigna cette question de la main et poursuivit :
— Aude n’est pas à ta semblance… L’amour qu’elle voue à Thierry est plus fort que celui que tu m’as porté même le premier jour où tu me l’as voué… En vérité, tu voulais sortir de ta famille, échapper à ton demi-frère dont les tâtonnements t’ont tant répugnée que tu n’acceptes plus les miens ! Tu y as consenti au début par devoir, rien d’autre…
Elle ne répondait pas, elle mâchait sa réponse.
— Tu as voulu échapper à cette mère qui n’était pas tienne et à ce père qui avait trahi le souvenir de la vraie pour forniquer avec une autre… Je regrette de l’avoir ménagé à la joute de Chauvigny pour te complaire, car il est d’esprit bas et outrecuidant… Mais il est mort, sans doute…
— Et tu en as plaisance !
— Certes non… Chaque fois qu’un homme quel qu’il soit meurt à la guerre, fut-ce un Goddon, j’en suis marri… Je préfère l’amour à la haine.
Figée, silencieuse, Blandine le considérait d’un regard inappuyé. Le sourire qui relevait sa bouche était à la fois dédaigneux et pitoyable. Elle luttait furieusement contre il ne savait quoi.
— Je t’ai aimé, Ogier, autant qu’Aude a pu aimer son… son huron !
— J’en doute… si j’avais été un huron, même en te sauvant de Lerga, tu ne m’aurais pas aimé… Tu t’es complue à inventorier… voire à inventer ma jeunesse… La tienne ne m’a jamais donné force souci et jalousie…
— Si je n’avais été pucelle quand tu m’as prise qu’aurais-tu dit ? Qu’aurais-tu fait ?
— Vierge ou non, je t’aimais. Le reste était sans importance.
— Tu m’en aurais voulu d’avoir succombé à la tentation ?
Il semblait qu’elle s’acharnait à mettre à mal tout l’édifice d’admiration, de songeries, de desseins et décisions qu’elle avait incarné. Qu’elle voulait le pousser aux extrêmes de son être ; il sourit, et c’était miracle qu’il fut parvenu à s’apaiser.
— Je ne t’en aurais point voulu, Blandine, d’avoir cédé à ces exigences charnelles auxquelles tu ne cèdes plus… ou si peu… La tentation est en chacun de nous… La passion t’aurait conduite à sacrifier cette virginité à celui que tu aimais… Même s’il ne te l’avait pas demandée comme une preuve d’amour… La raison ploie parfois devant ces inclinations qui n’ont rien de condamnable… Et qu’un autre ait trouvé avant moi place en ton cœur, comment pourrais-je t’en vouloir ?
— Et toi ?
— Quoi moi ? Que vas-tu me reprocher ? D’avoir existé avant de te connaître ?
Elle ne répondit pas, elle baissait la tête. Ainsi, elle semblait contempler son ventre ou le prendre à témoin de sa déconvenue.
— Si tu crois que des femmes ont enchanté ma vie avant ton apparition, tu te fourvoies… Je n’aurais pas été si prompt à t’aimer !
Pourquoi pensait-il à Anne ? Pourquoi, surtout, ce désespoir ? Il l’avait aimée ; il lui avait fait un enfant. C’était elle qui l’avait quitté, le laissant pantois de saisissement, de honte et de fureur. Ah ! Blandine eût été bien ébahie d’apprendre que pendant cinq ans, il s’était attaché à une ancienne lavandière devenue chambrière. Et de qui ? De Tancrède, qu’elle exécrait sans l’avoir vue !
— Je n’ai jamais vraiment aimé jusqu’à notre rencontre, dit-il sans honte. Tu as rempli d’un coup ma vie, mon cœur…
Là, il devenait d’une absolue franchise. Il passa le revers de sa dextre sur son front moite. La chaleur devenait forte ; il allait suer bientôt dans son armure.
— Je me croyais indigne de ta grâce, de ta beauté… Que tu acceptes… et mieux : que tu partages ma passion me semblait impossible…
Il s’agenouilla et prit les mains de Blandine dans
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