Les noces de fer
qu’un côté du visage, le colletin de fer luisant d’une dentelle de savon. Près du roi, Jean de Hainaut regardait, réprouvait, et Beaujeu, d’un bref mouvement de tête, saluait Ogier et Thierry avant Charny qui s’en trouvait offensé.
— Messires ! Messires ! tonna le roi. Du silence…
Il en obtint car il avait menacé du poing tous ceux qui s’apprêtaient à ouvrir la bouche : le duc d’Athènes, Philippe d’Orléans et Geoffroi de Charny.
— Messires, nous allons partir pour Calais… Des coureurs que j’ai envoyés en avant dès hier matin, m’ont rapporté de quoi dresser le relèvement des défenses que nous trouverons devant nous et qui figure sur cette feuille. Je vous engage, quand j’en aurai terminé, à en prendre connaissance.
Assurément, comparé à la confusion qui avait précédé le départ pour Crécy, ce prologue avait de quoi réconforter Hainaut, Beaujeu, « Thierry et moi », songea Ogier au moment où, l’apercevant, Philippe VI décidait :
— Vous et votre beau-frère, Argouges, chevaucherez derrière mes fils.
Il n’y avait qu’à acquiescer ; et déjà le roi disposait ses connétablies :
— Vous, Athènes, et cent armures de fer, et votre lance à l’avant ; vous, Hainaut, aurez le privilège de tenir la senestre, et les chemins vous conduiront ici…
Le médius du gantelet royal désigna un point, sur le parchemin, tandis que le duc Jean demandait, en jouant des cubitières pour atteindre la table :
— Et moi, Père ?
— Plus tard ! Plus tard ! Sache attendre ton tour…
Ainsi les grandes décisions prises à Hesdin étaient remises en question.
— Ce n’est pas tout, déclara le roi haussant le ton.
Le duc d’Orléans reculait dans la foule ; Ogier eut envie d’en faire autant, mais Thierry le retint par sa dossière.
— Vous, Charny, chevaucherez près de moi. Chacun se reconnaîtra à ses bannières et à celles de ses voisins ; nous ne déploierons l’oriflamme que pour lancer l’assaut. Que chacun ait toujours au côté l’épée prête et le bassinet en tête, car il faudra occire quiconque nous interdira le chemin. N’oubliez pas d’avoir cordes, grappins, scies, poudre noire… Le bagage de mon ost en est plein : faites-les quérir… Entre le corps d’armée que je commanderai et celui du chancelier de France et de ceux que je vais nommer, notre artillerie sera tirée par les bœufs, sommiers et mulets qui, en un mois, ont eu le temps de prendre des forces… Quand nous arriverons en vue de la cité, nous nous arrêterons pour un autre conseil.
— On prétend, dit Charny, que le roi a son épouse près de lui.
— Certes, dit Philippe VI d’un ton neutre qui occultait péniblement sa plaisance d’être éloigné de la sienne. Mes espies m’ont rapporté qu’elle est grassement enchainte… Vous pouvez sourire, Geoffroi ! La reine, en l’absence de son époux, a guerroyé contre les Escots. Elle a vaincu Bruce, leur roi et notre ami, l’a fait enchartrer en la Tour de Londres, et quelques jours après, sans s’être reposée malgré son état, elle était auprès d’Édouard [328] … Trois jours avant la Toussaint, pour mieux dire… Elle fera ses couches à Ville-Neuve-la-Hardie. Elle s’est entourée d’une grand’foison de gentilfames.
— Hé ! Hé ! fit le porte-oriflamme. Nous les aurons bientôt à discrétion !
— Tsitt ! Tsitt ! ajouta le roi comme s’il appelait son chien. Ces dames étaient hourdées de leurs maris, pères, frères, fils et amis.
Ils lantiponnaient [329] tous, sans souci apparent des Calaisiens qui devaient se ronger les foies d’impatience.
Ogier estima en avoir suffisamment entendu. Thierry également. Ils partirent. Leurs compagnons avaient fait place nette. Les chevaux, sellés, attendaient et Marchegai semblait de bonne humeur.
— En selle, dit Ogier. Courteille et Desfeux, veillez sur Tencendur.
— On a le temps, remarqua Thierry. Le roi n’a pas fini…
Il se hissa tout de même sur Artus.
— Encore un chevaucheur ! s’exclama Joubert.
C’en était un, à la livrée royale. Il venait de Paris et marchait à pied, précédant son cheval fourbu.
— Encore un pli de la reine pour son époux !
— Hé oui, Tinchebraye. Mais crois-moi, ce n’est sûrement pas une lettre d’amour.
— J’ignore, messire Ogier, ce qu’est l’amour, dit Joubert. Mais à voir votre visage en ce moment, il me paraît que c’est
Weitere Kostenlose Bücher