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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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qu’il eût reçu l’éperon, il se mit à contourner les deux princes, qui se préparaient à monter.
    — Ne perdons plus de temps ! Tu chevaucheras près de moi, Philippe… Toi, Jean, tu iras voir ce qui se passe en avant.
    Disant cela parmi ses maréchaux désormais en selle, le roi semblait voguer béatement sur une mer tranquille. Son puîné le rejoignit et l’attention d’Ogier se porta sur le duc Jean, qui s’asseyait en selle.
    — Comment trouvez-vous mon cheval, Argouges ?
    C’était un grand brun cendré aux yeux et au nez, blanchi aux pâturons. Sa crinière et sa queue grisonnées avaient été tressées par des mains expertes. Si la jambe était longue, l’encolure avait de la roideur. « Il est aussi orgueilleux que le duc ! » Celui-ci se tenait roide aussi, la tête haute, non pas comme un prince promis à un brillant destin, mais par coutumière arrogance. Un fils de roi, certes ; un chevalier aussi, mais pas un homme de cheval : sous sa visière levée, le peu que l’on voyait de son profil fuyait, ses épaules tombaient sans que ses lourdes épaulières en fussent cause ; son buste trop rejeté en arrière lui donnait une mauvaise contenance : ses pieds cherchaient de forts appuis – sans paraître les trouver.
    « Un perdant, lui aussi ?… Après tout, il tient de famille ! »
    Ogier regardait le nez mince et pointu d’animal fouineur, la ligne décolorée de la moustache pourtant fournie aux commissures, l’œil étroit, finissant en pointe vers la tempe, et qui semblait éteint, sinon ensommeillé.
    — En avant, cria le roi. Ce soir, nous serons à Calais !
    « Qu’y ferons-nous ? » se demande Ogier. « Si les Goddons nous y attendent, le sang coulera. Certains de nous ne verront pas le soleil se coucher. »
    Son attention se porta sur son entourage.
    « Nous ne nous sommes pas leurrés, en arrivant. Il semble que nous allions à un tournoi, nullement à la guerre !… Nous ébattre [333] et non nous battre ! »
    La plupart des seigneurs étaient de son espèce : armures simples, haubergeons de mailles, cottes de lin, de camocas et de cette « toile rouge » qui, depuis dix ans, disait-on, avait fait la fortune des frères Bonis, de Montauban. Leurs armes – lance, épée, masse ou plommée, fléau – brillaient aux clartés du jour nouveau, et leurs formes, elles aussi, se révélaient simples, sévères. Mais çà et là, des changements apparaissaient, prouvant que de grands seigneurs, voire des barons fortunés, se souciaient davantage de l’embellissement de leurs armes et harnois que de leur efficacité. Guy de Nesle montait un cheval dont le seul chanfrein d’argent ciselé devait valoir cent sous tournois ; Jean de Hainaut, tout armé à blanc, miroitant, dodinait des hanches et des épaules sur un coursier enharnaché de satin gris semé d’orfèvrerie à ses armes : d’or au lion de sable lampassé de gueules  ; Charny montait un lourd destrier houssé de velours azuré ; le fourreau de son épée semblait garni d’or et de quelques pierres scintillantes ; son écu rehaussé d’émaux certifiait à lui seul l’orgueil de son possesseur. Le chancelier de France, Guillaume Flotte, vêtu simplement, semblait humble et triste comme un écuyer esseulé par le trépas de son seigneur.
    — Une armée de riches…
    — Que dites-vous, messire ?
    — Je dis, Raymond : une armée de riches  ; plus nous perdons nos batailles, plus nous sommes superbes.
    — Pas nous, messire, pas nous !
    Le messire devait exprimer une angoisse. Raymond n’était pas allé à Crécy. Et pour cause : il avait dû quitter Chauvigny pour revenir aussi vélocement que possible à Gratot. Il connaissait la guerre ; il avait combattu hardiment lors du siège de Rechignac. Mais il allait maintenant au-devant d’autre chose : assailli, il devenait assaillant, et savait les dommages inséparables de ce nouvel état de guerrier pour les avoir infligés lui-même. Il considérait, ébahi, ces seigneurs pleins de présomption, parés et armés de fers et d’aciers gravés, ciselés, niellés avec une délicatesse qui contredisait ce pourquoi ils avaient été faits : la force, le courage ; ce que frère Isambert nommait virilitas.
    —  La parure !… Le goût, la frénésie de la parure…
    Ogier baissa la voix :
    — Ce que je puis affirmer, Raymond, c’est que les Goddons ne l’ont pas… Que sommes-nous ?
    — Des fressures

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