Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
Vom Netzwerk:
se diriger vers Gravelines. Les Flamands lui envoyèrent des messagers pour lui signifier qu’ils lui interdiraient le passage, dussent-ils, pour cela, engager un combat mortel. Le roi se résigna.
    — Allons à Guînes, dit-il.
    On arriva le 26 dans la cité arse et ruinée. L’air sentait la mer toute proche ; il faisait beau, mais le roi se montrait d’humeur maussade.
    — On dirait, dit Thierry, qu’il craint de batailler.
    — Je crois que tu as raison, beau-frère.
    L’odeur de cette mer qu’il n’apercevait pas revigorait Ogier. De plus, on allait se battre. Ensuite, il reviendrait à Gratot ; il y verrait Blandine et leur enfant. Leur vie prendrait une autre tournure.
    « À moins que je ne sois occis ! »
    Allons, bon ! Voilà qu’il s’assombrissait, bien que la mort eût pu seule anéantir ses tourments.
    Peut-être parce qu’il souffrait de cette incertitude du bonheur comme d’une plaie inguérissable, il sentait Blandine plus vivante et plus proche de lui qu’elle ne l’avait jamais été lors de leurs séparations, même des plus courtes comme celles qui les éloignaient quotidiennement à Gratot. En cachette, il lui advenait de flairer le volet de soie dont à Chauvigny, fièrement, il s’était fait une manche honorable. Il n’y retrouvait plus l’odeur chérie, mais celle de sa propre sueur, aussi amère que sa salive, aussi âcre que ses pensées. Il revoyait les larmes sur les joues pâles de son épouse tandis qu’elle enlevait, d’un geste las, les cheveux crochetés sur son front ; puis sa main apposée sur son ventre bien rond – la perfection de la rondeur. « Nous nous sommes quittés comme des ennemis en sauvant les apparences devant mon père, Aude et nos serviteurs. » Même si elles lui avaient semblé dues au dépit davantage qu’à la détresse, ces larmes signifiaient qu’elle l’aimait toujours.
    Tout comme lui, elle était asservie à la volonté royale. Elle avait épousé un chevalier ; partant, elle devait comprendre les exigences d’un tel état et s’y conformer dignement, même en n’étant, au fond d’elle-même, que fureur et que haine.
    « Si c’était à refaire… », songea-t-il. Au lieu d’essayer de la consoler, au lieu de la rassurer sur la brièveté de son absence et, surtout, sur la stabilité de leur devenir ; au lieu d’affermir sa force, sa confiance, il l’avait quittée en hâte. Il essaya de se rassurer une fois encore : « Aude est seule, elle aussi ; elles se conforteront. » Or, rien n’était moins sûr, Blandine, son enfant mis au monde – il se pouvait qu’il y fut mis –, pourrait devenir ombrageuse. Pour peu qu’Aude eût un fils et Blandine une fille, dame Argouges serait terriblement déçue. Et si elles enfantaient l’une et l’autre un garçon et que celui d’Aude paraissait plus solide que le sien…
    Voilà où il en était… Il prêtait à son épouse des sentiments qu’elle n’éprouvait sûrement pas… Se serait-il contristé ainsi en Bretagne, s’il y était parti de son plein gré ?… Non : il aurait eu trop de choses en tête : guetter les Goddons, les escarmoucher en des lieux propices, partager le butin…
    « Je suis trop tourné vers le passé. Est-ce parce que je vais mourir bientôt ?… Philippe est un roi mortel ! » Il pensait aussi à la Croix disparue, à Sirvin, au jugement de Dieu sur cette affaire qui sentait plus le soufre que l’encens.
    « Que fait Blandine en ce moment même ?… L’enfant tète-t-il son sein ? Y prend-elle un plaisir de mère ou de femme ? En est-elle fière ou dégoûtée ? Avec elle, peut-on savoir ? Elle diffère toujours de ce qu’on en espère ! »
    Il revit sa chevelure d’orfroi au fils tors, légère et lourde à la fois selon qu’elle frémissait au vent ou s’étalait sur l’oreiller, ajounuque fine et dorée… Que de baisers leur avait-il donnés !… Et ces yeux d’ambre roux, aux brillances superbes jusque dans la délicate dentelle des nervures… Et ce nez si pur aux narines pincées dans l’amour ou la colère ; cette bouche où fleurissait la moquerie, la tendresse, et des lamentations et reproches qu’il avait peut-être exagérés…
    À ce souvenir, car il voulait oublier tous les charmes du corps, il frissonna, seul parmi des milliers d’hommes dont aucun n’avait pu aimer comme il avait aimé ; seul, les oreilles emplies des bruits des plates, des grésillements de mailles, des cris

Weitere Kostenlose Bücher