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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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il m’avait semblé constipé !… Comme quoi il a changé : il a peur…
    — On s’arrête, dit Le Hanvic.
    Il disait vrai : toute la chevalerie peu à peu s’immobilisait, laissant aux écuyers le soin de galoper le long des colonnes piétonnes afin de leur signifier la pause à grands coups de gueule et, parfois, de plat d’épée. Les armes oscillèrent puis tombèrent avant les hommes. Certains, de leur panetière, tirèrent des miches, des saucissons ; des gourdes glougloutèrent, et sur le vaste échiquier des champs, l’armée du roi s’offrit, conjointement à la gogaille de ses chefs, un repas maussade et sommaire : le dernier, sans doute, avant la bataille.
    — C’est presque le silence, dit Courteille.
    Sa voix, ses mains tremblaient ; il avait enlevé sa cervelière et tapotait parfois son haubergeon de grosses mailles comme pour s’assurer qu’il était bien là et le protégerait des tailles et des estocades. À demi allongé parmi des mottes sèches, Desfeux, les yeux fermés, mâchonnait le pain que Tinchebraye avait coupé en treize portions, de sorte qu’il en restait un morceau – la part du pauvre – sur lequel revenaient souvent les regards de Jaucourt et de Crescentini.
    — À chacun sa rate [338] , dit Ogier.
    Criant « Hop ! » il lança le quignon à un guisarmier de treize ou quatorze ans qui semblait perdu ou abandonné des siens.
    — Mille grâces, messire.
    — Pour quatre ou cinq bouchées, c’est trop !… Que Dieu te garde !
    Le piéton s’en alla, s’arrêtant parfois, la dextre en visière afin de mieux considérer cette énormité d’hommes et de bannières où se cachaient involontairement ses compagnons. Certains, étendus de tout leur long sur le dos ou le ventre, semblaient déjà occis par les archers d’Édouard.
    On repartit, et comme il se trouvait à l’avant de sa Chevalerie, Philippe VI, tête nue sur son coursier, immobile comme une figure équestre, regarda passer ses grands et petits vassaux, mais aussi – « et cela », dit Thierry, « c’est une nouveauté » – les picquenaires, guisarmiers et vougiers, puis les sommiers – mulets et mules – que les piétons tenaient en main tandis qu’au loin, le charroi des balistes, trébuchets et ribaudequins avançait avec la lenteur d’une marche funèbre.
    — Nous vaincrons ! dit le roi à ses fils et maréchaux derrière lesquels Ogier et ses hommes avaient été contraints de venir se placer sur un commandement du duc Jean.
    — Oui, Père, nous vaincrons, dit le duc d’Orléans.
    Nul doute que les trois Valois éprouvaient du contentement, mais il était, tout comme leur peau sous le fer, poisseux d’incertitude. Et les hommes passaient, saluant parfois le roi d’un cri, d’une élévation des armes, des enseignes, des écus. Et quand vinrent les Génois, compagnons des mercenaires que Philippe et son frère Alençon avaient fait occire à Crécy afin d’obtenir le passage, le roi, repentant peut-être, leva très haut les bras et s’écria :
    — Amis très chers, faites votre devoir !
    Thierry se pencha vers Ogier :
    — Ils l’ont toujours fait !
    — Ils seront inutiles, mon serorge [339] … J’admets l’arbalète en défense, nullement en assaut… Mais vois…
    Des soudoyers du Tournaisis s’approchaient – un bon millier. Ils allaient trois par trois, sans bannière, sans capitaine, criant «  Tournai ! Tournai au roi de France ! » Un borgne les menait, vêtu de cuir noir, une hache danoise attachée dans son dos, une langue de bœuf à l’épaule [340] . Tous étaient porteurs d’armes d’hast bâtardes et d’arcs de fer œuvrés dans leurs forges. Et le roi rit :
    — On reproche à Godemar du Fay d’avoir perdu la bataille qu’il a livrée à Édouard, l’an passé, au gué de la Blanche-Tache… Comment voudriez-vous, mes fils, qu’il l’ait gagnée avec des hurons tels que ceux-ci ?
    Ainsi, le roi pensait au gouverneur du Tournaisis avec bonté. Il savait bien, pourtant, qu’il s’était enfui sans presque combattre !
    Ogier cracha ; le fiel qu’il expulsa macula la croupe du destrier de Charny, et il fut tenté d’en rire.
    — Partons, décida le roi. Il y a quelques milliers d’hommes encore. Ne nous usons pas la vue à les regarder… Venez, mes fils…
    Ils s’éloignèrent au petit galop, et comme il y avait çà et là des traînards, le duc de Normandie et le duc d’Orléans se mirent à en

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