Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
Vom Netzwerk:
serrées dans des grands plats coûteux ! ricana Joubert, pâle sous sa barbute.
    Ils rirent, bien qu’ils n’en eussent plus envie. Leur gaieté ne fit se retourner qu’un seul homme : Charny, qui sans doute s’était cru distingué au cœur de cette procession sans croix où pullulaient, dans l’immense futaie des lances et des armes d’hast, les pennons et les bannières.
    — Ce chevalier vous a en détestation.
    — J’en suis acertené [334] , Joubert… Allons, suivons le roi. Ne pensons plus à rien.
    On contourna la forêt de Guînes dont le château, peu à peu, disparut. Voies et sentiers poudreux, étroits ; rocailles : l’acheminement du bagage en fut contrarié. Quelques charrettes versèrent ; on les remit d’aplomb sans fureur et sans cris. Hormis ces inconvénients dus à des charges mal disposées, on avançait en arroi convenable, et lorsqu’il regardait, devant ou derrière lui, ces connétablies éblouissantes de leurs fers avant, peut-être, que de l’être de leurs prouesses, Ogier les trouvait différentes de celles auxquelles, un an plus tôt, il avait appartenu. Les piétons eux-mêmes s’étaient départis de cette allure farouche et clopinante qui, sur le chemin de Crécy, courrouçait tant de capitaines. Ils ne se plaignaient ni de la faim ni de la fatigue. Leurs harnois de fer ou de cuir sentaient le propre. Aucun d’eux ne traînait sa corsesque, son vouge, sa guisarme ou son fauchard ; les arbalétriers – armes, carquois et pavois aux épaules – semblaient décidés à maltraiter l’Anglais. L’œil dur, la bouche gaie, le buste droit, ils avaient eux aussi la fierté des vainqueurs. Le bariolage de leurs draps et livrées formait au sol, qu’aucun nuage n’assombrissait, une vaste bannière en marche.
    Et de considérer ces cavaliers superbes et ces hommes de pied prêts à la vaillantise, Ogier sentit sa sérénité lui revenir : Calais serait dessiégé. Dût-il, d’ailleurs, en trépasser, il se battrait comme cet homme, ce suzerain, devant lui, l’exigerait.
    « Je suis son champion et lui ferai honneur… Et si je meurs en preux et que le roi le clame, Blandine se haussera du col et du menton ! »
    Mourir pour le royaume !… Il eût préféré mourir pour les siens. Car ce roi et son fils aîné ne valaient rien : ils tenaient les rênes de la France aussi mal que celles de leur cheval… « Race de perdants ! » s’était écrié leur plus fidèle allié, le roi de Bohême, avant de galoper aveuglément sur la pente du Val-aux-Clercs… Ce soir, demain, après-demain, allait-on encore perdre et laisser ceux de Calais se rendre aux envahisseurs ?… Qu’allaient-ils découvrir aux abords de cette cité suante de chaleur et d’angoisse mortelle ? « Oncques ne vit de gens plus durement étreints ! » Quelle liesse que celle de ces malheureux en voyant apparaître leurs sauveurs, ce vendredi 27 juillet si plein d’azur et de soleil que Dieu semblait l’avoir béni pour leur donner l’espérance et, s’il le fallait, l’ardeur de combattre.
    Un souffle gonfla la poitrine d’Ogier, tellement fort qu’il se sentit gêné par son plastron de fer. « Il faut les délivrer ! » S’il succombait lors d’un assaut ou sous les coups du champion d’Édouard, Blandine – il y revenait ! – ferait une veuve accomplie. Belle, digne, ses pleurs seraient silencieux. Que leur enfant fût mâle ou femelle, elle lui conterait les vertus d’un époux plus cher à son cœur qu’il ne l’avait jamais été de son vivant, jusqu’à ce que, n’en trouvant plus, elle en imaginât sans scrupule et sans peine…
    — Quelle chaleur ! dit Joubert. Messire, nous étions cent mille avant Crécy. Plus je regarde à l’entour, plus je me dis que nous sommes le double [335]  !
    Blandine, en voyant tous ces hommes, eût peut-être senti son chagrin s’alléger : « Ils vaincront sans coup férir… Les Anglais, en les apercevant, guerpiront comme des moineaux devant l’épouvantail… » Pensée de femme. Nul homme de bon sens, parmi tous ces milliers, ne croyait à quelque frayeur des Goddons, ni à leur dispersion, ni même comme lui, Argouges, à leur défaite. En ce moment, le soleil cuivrait, à Gratot, les vitres de leur chambre. Dans son petit lit, « celui où Aude et moi avons dormi », l’enfant s’éveillait, et Blandine se penchait sur lui pour la première tétée. Elle avait les seins lourds, épanouis ; elle

Weitere Kostenlose Bücher