Les noces de fer
puis tous se redressaient, et bien qu’il ne les vît pas, Ogier imaginait les grands ahans des hommes, leur dos, leurs reins endoloris, et tout près d’eux, recevant sans doute leurs coups de coude et de genou, les gars chargés de la démolition hurlant de fureur tant le merrain résistait aux piquants et tranchants de leurs outils.
À l’entour, les sagettes tombaient ; nul assaillant ne pouvait plus s’abriter. Un jouvenceau sortit d’une des tortues :
— Où en est-on, Guillonnet ?
— Le bois est dur.
Ogier s’avisa d’un des boutefeux, le dos collé à la paroi de chêne sans doute aussi impénétrable que de l’acier :
— Entre là-dessous et fais en sorte que ça flambe !
L’homme s’enfourna sous les pavois. Ogier se tourna vers un autre :
— Va sous l’autre tortue et fais-en autant !
Il s’était mis devant la porte et s’étonna de n’avoir reçu aucun trait. Levant les yeux, il comprit : « Les archères ont été mal faites : aucune ne défend cet huis ! » Les boulets tombaient des hourds, moins nombreux cependant qu’au début de l’attaque ; les tortues oscillaient ; la terre tremblait ; les haches, les pics et les hoyaux mordaient sans répit le chambranle, et la porte commençait de bas en haut à frémir. Il vit des planches apparaître, expulsées d’une tortue, puis une crémaillère épaisse, et une autre.
— Ils sont venus enfin à bout de l’escalier !
Tinchebraye avait toujours autant d’assurance, mais son visage blafard était secoué de frémissements. Il poignait son épée à deux mains ; des mains nues, fermes, où les veines saillaient comme des cordelettes. Du menton, il désigna la bannière :
— Je l’ai bien plantée, mais elle s’incline… Et elle a souffert un peu plus…
— Une flèche est même demeurée dedans, dit Ogier. Retenue par son empenne… Nous la reprendrons et l’emporterons comme une relique.
Les hommes grouillaient à l’entour du beffroi. De toutes parts, on l’assaillait. Il tremblait de la base au sommet comme un tronc d’arbre gigantesque, un arbre dont les gros fruits de pierre écrasaient certains de ceux qui le maltraitaient. Et chaque mort supplémentaire, plutôt que de dissuader les Tournaisiens de leur acharnement, ne les rendait que plus furieux.
— L’huis cède ! hurla quelque part DeConinck.
— Allons-y, Tinchebraye. C’est à moi d’entrer le premier… Tu me suivras.
La porte craquait. Sous les fendoirs des haches, les gros clous à tête ronde projetaient des étincelles. Les pentures vibraient ; les gonds tordus grinçaient.
— Alors, merdaille ! hurla Tinchebraye.
Ogier regarda la faîte de la tour et poussa un hurlement :
— Ôtez-vous tous ! Tous !
Les écus des tortues se dissocièrent ; les guerriers, soudain apeurés, s’éparpillèrent, suivis par les démolisseurs ; et déjà une pierre tombait d’une trappe aménagée à sa mesure. La plus lourde, celle que les Goddons avaient réservée pour la fin et qui, péniblement hissée au sommet, ne pouvait être portée que par trois ou quatre hommes.
Elle chut sur DeConinck et Guillonnet, et le vent qu’elle fit en tombant, après avoir courbé les flammes du pas-de-porte, les épaissit et fortifia. Le bois gluant de graisse crépita. Trassignies, Marie et Le Doulx apportèrent une échelle et s’en servirent ainsi qu’un bélier. L’ais résista. Quatre guerriers se joignirent à leurs chefs, et l’huis à demi rompu, que devait maintenir, à l’intérieur, des barres traversines, résista encore et encore.
— Ils ne tirent plus, dit Tinchebraye. Vont-ils se rendre ?
— Ils s’apprêtent plutôt à nous recevoir !
— Pauvres d’eux ! dit le Normand.
De dessous le rocher dépassaient une jambe et un bras : Guillonnet. Une tête et un torse : DeConinck. Du sang sinuait, noir. Deux de moins… Le feu ronflait ; l’échelle, à force d’être précipitée dessus, craquait autant que la porte et cent hommes, autour de ceux qui la maniaient comme un bélier poussaient des « Oh ! Oh ! » pour accompagner des efforts auxquels le Borgne de Bapaume joignit les siens.
Le battant céda, tomba à la renverse dans un grésillement de flammes et de fumées dissimulant l’intérieur de la tour.
— Entrons ! dit Ogier.
Il sauta sur la grosse pierre sous laquelle gisaient les deux Tournaisiens. De là, il pouvait accéder au-dedans. Il y fut d’une enjambée,
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